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étincelle pour causer un affreux accident. C’est aussi un remarquable portrait que celui du docteur Dœllinger par M. Lenbach. Il nous le montre de face, tenant un livre de ses deux mains croisées sur ses genoux. La tête est pleine de caractère, c’est bien une tête de docteur, de fouilleur, de chercheur et d’argumentateur. Le don de la ressemblance est un don spécial qu’en France, par exemple, Mlle Jacquemart possède au plus haut degré, comme elle l’a bien prouvé dans ses beaux portraits de M. Dufaure, de M. Duruy et du maréchal Canrobert. On n’aurait jamais vu le docteur Dœllinger qu’on devinerait que son portrait est ressemblant ; mais pourquoi M. Lenbach a-t-il trop de goût pour les tons glauques ? Pourquoi a-t-il donné à son modèle un teint si verdâtre ? On dirait que l’éminent théologien sort de l’eau, qu’il en a rapporté des algues et des varechs mêlés à ses cheveux. Pourquoi aussi lui avoir fait des mains de bois ? Nous avons vu les mains du docteur Dœllinger, nous les avons même touchées ; nous pouvons certifier qu’elles sont en chair.

M. Knaus tient depuis longtemps le sceptre de la peinture de genre en Allemagne, son règne n’est point encore fini. Il a la verve, l’esprit, la discrétion dans le trait, l’entente de la composition, l’observation pénétrante et fine, toutes les qualités et toutes les vertus de son état. Nous avons revu avec un nouveau plaisir son Enterrement, œuvre exquise dans laquelle on ne trouve à reprendre qu’une couleur brune un peu rance. A l’Enterrement nous préférons encore un tableau de date plus récente, qu’il a intitulé un Élève plein d’avenir. Nous sommes dans la boutique d’un marchand d’habits ; le vieux fripier, tenant d’une main sa longue pipe, gesticulant de l’autre, enseigne à un jeune gavroche, assis en face de lui, un bon tour de sa façon. Le gavroche lui répond par un sourire d’intelligence ; il a compris à demi-mot et il semble dire : Voilà qui est bien joué. On peut s’en remettre à lui : livré à lui-même, il trouvera mieux encore ; cet élève ira plus loin que son maître.

D’autres peintres de genre : M. Hildebrandt, M. Hoff, M. Defregger, ont sans contredit beaucoup de talent ; mais l’enfant qui mange, l’enfant qui boit, l’enfant qui rit, l’enfant qui pleure, joue un rôle trop considérable dans leurs ouvrages, et leurs petites scènes d’intérieur sentent un peu le renfermé. La peinture de genre a pour mission de représenter des mœurs et non de conter des anecdotes ; la peinture anecdotique a remplacé chez nos voisins comme chez nous la peinture de mœurs. Passe encore quand l’anecdote est gaie ; mais l’anecdote larmoyante est la mort de l’art, surtout quand on a le fâcheux travers de souligner ses intentions et d’aimer trop le brun-marron. En revoyant tel tableau qui d’abord vous avait