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séduisantes coquines et de beaux monstres. Par ordre supérieur, la porte a été fermée aux tableaux interlopes comme aux tableaux militaires ; nous n’y avons pas aperçu un seul escadron de uhlans, ni une seule femme qui se conduise mal, à moins que nous ne comptions parmi les femmes suspectes les deux sirènes que M. Bœcklin a groupées dans une étrange composition intitulée Mecresidylle, laquelle n’est pas propre à inspirer le goût des idylles marines. Les sirènes de M. Bœcklin ont une main verte et une main bleue ; cela suffit pour mettre la jeunesse à l’abri de leurs amorces. On ne trouve pas non plus dans la section de l’empire germanique de grandes toiles, des tableaux d’histoire tels que ceux de M. Wauters. Les artistes allemands semblent avoir renoncé aux vastes entreprises, ils ne peignent plus le jugement dernier comme M. Cornélius, ni la philosophie de l’histoire comme M. Kaulbach. L’exposition allemande, arrangée avec beaucoup de discernement et de goût, respire un esprit éminemment bourgeois ; on pourrait croire en la parcourant que l’Allemagne est le pays le plus tranquille, le plus pacifique, le plus modeste de l’Europe, où chacun, retiré chez soi, s’occupe de ses petites affaires particulières et surveille son pot-au-feu, sans se soucier de jouer le moindre rôle dans l’histoire du monde. Il n’y a rien dans cette grande salle qui puisse faire penser à M. de Bismarck, au traité de Berlin, aux élections du Reichstag ; mais on y trouvera quelques excellens portraits, de nombreux tableaux de genre, parmi lesquels il en est de remarquables, quelques paysages intéressans et un tableau de demi-caractère, qui est une œuvre très bien venue et vraiment réjouissante.

Le portrait de la princesse Elisabeth de Carolath-Beuthen, par M. Richter, a été fort admiré. M. Richter a traité comme il convenait son beau modèle. La princesse, en toilette de bal, les bras nus, a posé son coude sur le dossier de sa chaise ; elle appuie contre sa main droite sa tête fière et délicate, aussi fine que distinguée ; son autre main pend le long de son corps et joue avec un bracelet. Un superbe dogue, fort distingué lui aussi, est accroupi sur un pan de sa robe. Voilà une femme bien gardée ; mais elle se charge de se garder elle-même, il y a dans ses yeux comme dans sa bouche quelque chose de hautain et de dédaigneux qui tient ses admirateurs à distance. Quelqu’un disait : « Ce portrait est admirable, mais il vous reçoit mal. » Dans les tableaux de M. Stevens, la robe vaut souvent mieux que la femme ; ici la femme vaut mieux que sa robe, qui est d’un blanc crayeux ou couleur de sucre et manque de souplesse. Ce qui nous chagrine et nous inquiète, c’est que la princesse tourne le dos à un ardent-feu de coke, peu s’en faut que ses dentelles ne frôlent la cheminée ; il suffirait d’un mouvement malheureux et d’une