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La chambre des comptés fit des représentations, qui n’empêchèrent pas d’augmenter la gabelle du sel et de changer les monnaies pour en tirer profit. Le ministre des finances Noviant avisa que pour soustraire aux entraînemens le trésor du roi, il fallait le mettre en lingots, mais comment ? Le moyen était original. On fondit l’épargne du trésor en une masse ayant la forme d’un cerf. C’était le corps de la devise du roi, et on croyait par là donner au prince le goût de l’économie. Malheureusement, il n’y eut jamais de fondu que la tête du cerf ; la tête aussi devait être bientôt convertie en monnaie. Avouons que l’expédient était moins ingénieux que l’amortissement, qui pourtant a trompé tant d’espérances.

On promettait, au moment des fêtes, de diminuer les impôts, ce qui poussait fort à se réjouir. Quel exemple que celui des fiançailles et du mariage d’Isabelle de France avec Richard II d’Angleterre ! Quel échange de cadeaux à n’en plus finir entre les princes ! Les gros diamans, les pièces d’orfèvrerie, les étoffes se donnent, s’échangent comme si c’étaient menus présens, et comme on mène joyeuse vie ! Puis on s’apprête, en France et en Angleterre, à la même lutte de magnificence. Les orfèvres et les brodeurs sont tous mis à l’œuvre ; on ne voit qu’or, argent, perles, diamans et précieuses étoffes ; les boutiques en sont combles. Pour tout cela il faut se procurer encore de l’argent. On profite de ce mariage et de la paix qui mettaient le peuple en bonne disposition, et on le fait payer comptant, en lui promettant de réduire d’un quart’ la gabelle et la taxe des vins. L’année n’était pas révolue, et le subside du mariage était à peine levé, dit le Religieux de Saint-Denys, « que tout était remis comme auparavant. » Aussi tous ces divertissemens, ces joutes, ces banquets, ces chaînes d’or et d’argent données en présens, ces habillemens brodés, ces joyaux de toute sorte étaient-ils devenus le sujet d’une plainte générale. Le roi d’Angleterre n’en était pas à l’abri non plus, et c’était en ce pays plus sérieux ; ses sujets avaient une volonté plus constante de se défendre, et plus de moyens déjà de le faire avec succès.

Les philosophes devaient plus tard se montrer de l’avis du peuple sur les effets ruineux de ces fêtes trop multipliées et trop dispendieuses où s’était laissé entraîner la monarchie par une pente fatale. Les économistes devaient dire aussi leur mot. Leur examen portait particulièrement sur un aphorisme qu’on répète encore lorsqu’on donne des fêtes publiques : cela fait aller le commerce. Les économistes, au dernier siècle, avaient l’indiscrétion de demander s’il n’y avait pas là aussi une mesure à observer ; si ce capital, employé en choses rapidement détruites et souvent futiles, ne pouvait recevoir un emploi plus réellement fructueux pour chacun et pour tous ;