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à les contempler. « Pendant qu’ils regardent, disait-il, ils ne boivent pas ; c’est autant de pris sur le festin, jam paucœ superant epulemtibus horœ. »

La même bonhomie se retrouve dans quelques-uns des miracles qu’il nous raconte. Saint Félix n’était si populaire que parce qu’il se montrait fort complaisant pour les pauvres gens. Il écoutait volontiers leurs réclamations, il exauçait leurs prières, et même, quand leurs bêtes étaient malades, il se chargeait de les guérir. Aussi est-il souvent question dans ces récits des bœufs, des moutons, et surtout des porcs, qui faisaient toute la fortune des paysans de la Campanie. Le bon Paulin s’égaie à ce propos sans scrupule. Dans une des dernières pièces qu’il ait composées pour saint Félix, il avoue qu’il a quelque peine à trouver un sujet nouveau. « Je n’avais rien, dit-il, pour le petit repas que je sers tous les ans à mon protecteur. Le jour s’approchait pourtant, et je ne savais que lui donner ; mais il y a pourvu lui-même : il m’a envoyé deux porcs ; » c’est-à-dire deux histoires où il est fort question de cet animal. Voici la première. Un paysan d’Abella avait fait vœu d’offrir un porc à saint Félix ; après l’avoir engraissé avec soin, il l’amena pour l’immoler le jour de la fête. C’était, comme on l’a vu, une pratique païenne, mais Paulin ne s’en scandalisait pas. Il acceptait la bête qu’on donnait au saint et en faisait distribuer la chair aux pauvres. « Cette fois, dit-il, l’animal était si gros que sa vue fit naître un appétit extraordinaire chez tous les indigens de la contrée, qui espéraient bien le manger. » Cette espérance fut trompée. Le paysan était un de ces avares qui donnent le moins possible et qui rusent même avec les saints. Quand la bête fut immolée, il fit mettre à part tout ce qui valait la peine d’être emporté, et ne laissa pour les pauvres que les boyaux et l’intérieur. Il s’en allait tout heureux de s’en être tiré à si peu de frais, quand tout d’un coup, en plein jour, sur une route unie, sans savoir pourquoi, il tombe de cheval. Lorsqu’il veut se relever, il lui semble que ses pieds sont liés à la terre et qu’il ne peut les en détacher. Pendant qu’il fait des efforts inutiles pour se remettre en route, le cheval s’en retourne de lui-même d’où il vient et rapporte au saint tout ce que le paysan avait voulu garder pour lui. La viande est aussitôt distribuée aux pauvres, et leurs prières obtiennent la guérison du malheureux, qui s’empresse d’en venir remercier saint Félix. Paulin, selon son usage, lui prête un long discours, dans lequel il se félicite d’avoir été si promptement remis sans opération ni remède, et d’échapper ainsi d’un seul coup non-seulement à la souffrance, mais à la médecine « plus cruelle encore que la maladie. »

Cette histoire finie, Paulin entame allègrement la suivante, car