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campagnes une égale indépendance et une équitable représentation, le meilleur moyen d’empêcher l’oppression de l’un des deux élémens par l’autre. Si pour l’esprit et pour les mœurs la population des villes se distingue beaucoup moins de celle des campagnes en Russie qu’en Occident, elle en diffère déjà notablement par les besoins et les ressources. La composition même des zemstvos, où prédominent les influences rurales et la propriété foncière, est une raison de plus de soustraire les villes aux zemstvos de district, qui peuvent être tentés de les imposer davantage. Cette distinction des deux principaux élémens de la population ne saurait du reste aboutir à leur isolement, puisque pour tout ce qui concerne les besoins généraux de la province, les villes et les districts ruraux ont un centre et un rendez-vous commun dans les zemstvos de gouvernement. A cet égard la dualité de ces assemblées provinciales offre à la Russie un précieux avantage ; en lui permettant de dénouer les liens qui rattachent les villes aux districts ruraux, elle lui rend plus facile l’autonomie réciproque des municipalités et des assemblées provinciales et le self-government local.


IV

Autrefois les municipalités urbaines ne pouvaient prendre une décision ni faire une dépense sans l’autorisation de l’administration impériale qui les tenait en tutelle. Il n’en est plus de même aujourd’hui, les restrictions légales peuvent encore entraver leur liberté, elles ne la paralysent plus. L’obstacle à leur initiative et à leur progrès vient d’ailleurs, il vient d’un empêchement que la loi ou le gouvernement ne peuvent à volonté écarter. Les municipalités urbaines sont pour la plupart arrêtées par la même barrière que les états provinciaux, par le manque d’argent. Ce n’est point d’ordinaire la faute de la loi, qui leur reconnaît le droit de se taxer elles-mêmes et de disposer librement de leurs ressources ; c’est la faute de l’état économique de la population et en partie la faute du climat et du ciel. Avec de lourdes charges et de grands besoins, les villes russes ont pour la plupart de minces ressources. Chez elles, les soins ordinaires de l’édilité, l’entretien et le nettoyage des monumens, des voies publiques, des égouts, des conduites d’eau, le pavage, l’éclairage même, sont rendus par le climat plus nécessaires et plus coûteux qu’ailleurs. Une ville n’est en tout pays qu’une conquête sur la nature, et la nature russe est plus rebelle et plus ennemie des œuvres de l’homme. Aux difficultés apportées à la voirie publique par la longueur et les rigueurs de l’hiver, par la glace, par les neiges, par le dégel, s’ajoutent des difficultés apportées par les dimensions mêmes de la plupart des villes russes, par la largeur de leurs rues et la grandeur de leurs places ; beaucoup