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érigés en juges ou en accusateurs de l’assemblée qui les a nommés ; par là cette dernière se trouve placée sous le contrôle des fonctionnaires municipaux qu’elle a pour mission de contrôler. Si, comme il arrive d’ordinaire, le maire est d’accord avec les représentans du pouvoir central et domine l’ouprava, il peut s’ériger en despote ou en tyran local, surtout dans les petites villes de province, où l’inertie de la société et le défaut de presse indépendante privent les habitans de tout moyen de résistance. Aussi entend-on parfois dire en Russie que le golova est moins le ministre docile des volontés de la douma que le tuteur de la ville. A en croire les pessimistes, la loi n’aurait donné de tels pouvoirs au maire que pour en faire l’instrument de l’administration et par là remettre indirectement les municipalités sous l’ancien joug de la bureaucratie et du tchinovnisme.

De pareilles doléances ne semblent pas sans exagération. En dehors même du contrôle incessant de l’ouprava, il y a une chose qui mitigé l’autorité peut-être excessive du golova : le maire est partout l’élu de ses concitoyens, l’élu de la douma qu’il préside. En Russie, dans la Russie proprement dite au moins, en dehors des provinces acquises par Catherine II et ses successeurs, il n’y a pas d’exception à cette règle. Saint-Pétersbourg et Moscou nomment leur golova, de même que chaque village nomme son staroste. Dans les chefs-lieux de province, le maire ou son suppléant doit toutefois être confirmé par le ministre de l’intérieur, dans les autres villes par le gouverneur. Ce droit d’élection des maires est un de ceux dont les Russes sont justement fiers, mais quelques-uns ont le tort de s’en trop prévaloir vis-à-vis de peuples dont les conditions d’existence sont singulièrement plus complexes que les leurs. En d’autres pays, en France particulièrement, ce qui rend difficile au gouvernement central de se désintéresser partout du choix des magistrats municipaux, c’est moins l’importance que la variété et la dualité des fonctions du maire. Chez nous, le maire a deux qualités fort différentes, et sous certains rapports opposées : il agit tantôt comme délégué du pouvoir central et sous l’autorité dû préfet, tantôt comme administrateur de la commune et sous le contrôle du conseil municipal. « Notre maire, avec la diversité de ses fonctions, a comme deux faces et deux natures, c’est un fonctionnaire hybride[1]. » Il en est de même à quelques égards en Russie, au moins dans les villages où le staroste et le starchine servent d’intermédiaires entre le paysan et le gouvernement central[2] ; mais en Russie le pouvoir n’a encore rien, à redouter de l’élection : pour

  1. Voyez l’Administration locale en France et en Angleterre, de M. Paul Leroy-Beaulieu, p. 85-90.
  2. Voyez la Revue du 1er août 1877.