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villes où le conseil peut toujours être convoqué, l’ouprava est naturellement moins puissante que ne l’est dans les états provinciaux la délégation analogue vis-à-vis d’assemblées qui n’ont régulièrement qu’une session annuelle.

A la tête de chaque municipalité est un maire élu, appelé golova (gorodskoï golova), ce qui signifie proprement la tête de la ville[1]. Il y a dans les états modernes deux systèmes d’administration municipale ; l’un concentre tous les pouvoirs dans une même main pour donner plus d’unité à la direction des affaires ; l’autre préfère diviser les pouvoirs et répartir les charges municipales entre un grand nombre de personnes, pour mieux assurer les libertés et l’indépendance des habitans. De ces deux systèmes opposés, le premier, le plus simple, est en vigueur en France, où toutes nos communes urbaines ou rurales n’ont à leur tête qu’un seul magistrat municipal ; le second, plus compliqué, règne en Angleterre et aux États-Unis, dans les pays qui ont su le mieux assurer, le mieux fonder et conserver l’autonomie municipale[2]. Les Russes étaient ici, comme en presque toute chose, libres de choisir entre les différens modèles, ils semblent avoir voulu combiner les deux systèmes contraires sans que l’on puisse dire qu’ils y aient réussi.

Au lieu de plusieurs comités ou de plusieurs selectmen à l’anglaise ou à l’américaine, les villes russes ont à leur tête un magistrat unique, un maire à la française, qui concentre entre ses mains tous les pouvoirs ; mais à côté du maire il y a la délégation municipale, l’ouprava, sorte d’administration collective, dont le contrôle est permanent. Dans la pratique, ces deux pouvoirs sont loin de se faire équilibre. L’ouprava russe n’a point l’autorité des conseils municipaux anglais, qui dirigent tout et exécutent tout par leurs comités. Le plus souvent aujourd’hui, c’est un frein qui ne semble pas beaucoup gêner la liberté des maires. Le golova est de droit président des assemblées électorales de la ville, président du conseil municipal, président de la commission exécutive ('ouprava). Comme beaucoup de ces assemblées, surtout dans l’intérieur des provinces, montrent peu de zèle ou peu d’indépendance, cette triple présidence confère au maire un singulier ascendant. Le golova est maître de convoquer le conseil municipal à sa volonté ; il peut arrêter les décisions de la douma en les faisant déclarer inexécutables ou illégales par la délégation qu’il préside. Le législateur a remis en effet à l’ouprava le soin de veiller à la légalité des décisions du conseil dont elle émane. Par là le maire et le comité permanent sont

  1. Du mot golova, tête, ici employé métaphoriquement à peu près comme le latin caput ou notre vieux français chef.
  2. Voyez à ce sujet la Démocratie en Amérique d’Alexis de Tocqueville, et l’Administration locale en France et en Angleterre, de M. Paul Leroy-Beaulieu, p. 107, 109.