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c’est que certaines clauses, certaines lacunes de la loi nouvelle en altèrent ou en détruisent l’efficacité. En changeant le mode d’élection, le statut de 1870 n’a pas en effet beaucoup modifié la composition des conseils municipaux. Certaines villes ont aujourd’hui pour maire un noble ou un ancien fonctionnaire ; mais dans presque toutes la prépondérance est, comme par le passé, demeurée aux classes proprement urbaines, demeurée surtout aux kouptsy, aux marchands. Dans la plupart des grandes villes, on rencontre au sein des assemblées municipales des représentans de toutes les classes, nobles et fonctionnaires, marchands et bourgeois notables petits bourgeois, artisans et paysans, car en beaucoup de cités russes une grande partie de la classe ouvrière est, on le sait, formée de paysans qui n’en continuent pas moins à rester membres de leur commune natale. Comme les autres classes, le clergé lui-même a parfois ses représentans dans les conseils élus, car ni la loi ni les mœurs n’en interdisent l’accès aux ecclésiastiques.

Il y a fort peu de conseils municipaux où domine la noblesse, le dvorianstvo, aujourd’hui encore la classe la plus éclairée de la nation, la couche cultivée, comme dit le général Fadéief[1]. Dans ces dernières années, il y avait à peine trois ou quatre doumas, celle de Kief entre autres, où la noblesse fût en possession de la majorité des sièges, et dans l’ensemble des élections municipales, la part proportionnelle du dvorianstvo n’était guère que de 15 ou 20 pour 100. Je pourrais citer des conseils où les classes inférieures et d’ordinaire à peine lettrées, mêchtchane, paysans, artisans, l’emportaient sur les nobles et les classes instruites. Partout au contraire le nombre des marchands est considérable ; dans la plupart même des conseils, les kouptsy ont à eux seuls la majorité, en sorte qu’ils n’ont qu’à demeurer d’accord pour être maîtres de résoudre exclusivement à leur avantage les affaires de la ville et toutes les questions d’impôt. Ce n’était pas là le but du statut de 1870, qui prétendait au contraire enlever les municipalités à la domination exclusive des commerçans, des kouptsy, pour en aplanir l’accès à des hommes plus cultivés. Chose que le législateur n’a point su prévoir, un système électoral destiné à assurer la prépondérance des hautes classes a souvent abouti à l’exclusion ou à la subordination des classes les plus instruites et les plus propres à la direction des affaires. En Russie en effet, l’éducation est encore moins que partout ailleurs en raison de la fortune, ou les lumières en proportion de la cote des impôts.

Cette prépondérance d’une classe souvent encore peu cultivée, parfois même hostile à la culture européenne, indique l’influence

  1. Fadéief : Rousskoé obtchestvo v nastoiachtchem i boudouchtchem.