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précieuse que tous les biens de l’univers, pauvreté du Christ, tu donnes les trésors du ciel à ceux que tu dépouilles des biens de la terre ! » Jamais on ne surprend chez lui le moindre regret de la grande situation qu’il a quittée ; s’il y songe quelquefois, c’est pour exalter le bonheur qu’il goûte dans sa retraite. « Aucun des biens que je possédais quand on m’appelait sénateur pouvait-il se comparer à ceux dont je jouis depuis qu’on m’appelle un mendiant ? »

Le grand jour de la petite communauté, ce jour qui rend tout le monde joyeux, et Paulin plus que personne, est la fête de saint Félix. Cette fête se célèbre le 14 janvier : ce n’est pas un moment très favorable aux divertissemens populaires, et même dans ce climat heureux de l’Italie méridionale, il peut se faire que la saison soit alors assez rigoureuse. Qu’importe à saint Paulin ? Quand arrive le 14 janvier, il est toujours décidé à trouver qu’il fait le plus beau temps du monde. Si par une chance heureuse le soleil brille, il lui semble que c’est le printemps qui commence au milieu des frimas, et il est prêt à chanter avec l’épouse du cantique : « La pluie a cessé, l’hiver s’est enfui, la voix de la tourterelle se fait entendre, au sommet des arbres, la vigne en fleur embaume l’air de ses parfums, et le lys du ciel fleurit sur la terre. » S’il neige, il est tenté de voir dans ces flocons qui tombent une sorte d’hommage que le ciel rend à son saint favori : « Regardez comme cette éclatante blancheur partout répandue témoigne de la joie du monde. Une pluie qui ne mouille pas descend des nuages ; toute la nature est revêtue d’un voile blanc, la neige couvre les toits, la terre, les arbres et les collines, comme pour faire honneur au saint vieillard que nous célébrons. » Quant à lui, lorsqu’arrive ce jour « qui tarde tant et passe si vite, » il est toujours prêt. « Le printemps, dit-il, rend la voix aux oiseaux ; moi, mon printemps c’est la fête de Félix. Quand elle revient, l’hiver fleurit, la joie renaît. En vain l’âpre froidure durcit le sol, blanchit les campagnes, l’allégresse de ce beau jour nous ramène le printemps et ses douceurs. Les cœurs se dilatent, la tristesse, hiver de l’âme, se dissipe. Elle reconnaît l’approche de la chaude saison, la douce hirondelle, le bel oiseau aux plumes noires, au corset blanc ; et aussi la tourterelle, sœur de la colombe, et le chardonneret qui gazouille dans les buissons. Tous ces doux chanteurs qui erraient en silence autour des haies dépouillées, tous ils retrouvent au printemps leurs chansons aussi variées que leur plumage. De même j’attends pour chanter que l’année ramène ce pieux anniversaire. C’est le printemps alors qui renaît pour moi ; alors le moment est venu de laisser échapper de mon âme mes vœux et mes prières, et de me fleurir de chants nouveaux, floribus et vernare novis. » Lorsqu’il écrivait ces jolis vers, il y avait déjà sept ans qu’il était à Nole et qu’il assistait aux fêtes de