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dernier collège, qui se sent plus ou moins annihilé par les deux autres. Dans la capitale même, l’assemblée des plus imposés réunit parfois à peine un tiers des ayans droit, celle du second collège moins d’un quart, celle des petits contribuables moins d’un dixième[1]. De telles habitudes d’abstention font que les élus sont les représentans d’une infime minorité. Quand il n’y a pas plus d’empressement dans la capitale, on se demande ce que peut être une élection dans les petites villes. Le mode de scrutin, à la fois primitif et compliqué, explique en partie cette incroyable apathie des habitans des villes à se servir des droits que leur concède la loi. Pour les élections municipales, comme pour les élections provinciales, tous les électeurs de même catégorie doivent voter pour tous les représentans accordés à leur groupe, quel qu’en puisse être le nombre. De tels choix sont d’autant plus malaisés que, sous prétexte d’assurer la sincérité et la spontanéité du vote, la loi n’autorise ni réunions préparatoires, ni comités électoraux, ni discussions dans l’assemblée électorale. Quelle peut être la confusion d’un pareil scrutin, alors que dans certaines villes, à Saint-Pétersbourg au moins, chacun des trois collèges, et par suite chacun des électeurs a plus de quatre-vingts délégués à choisir ! On sait ce que devient le scrutin de liste quand il comporte autant de noms : les voix finissent par se répartir au hasard ; la plupart des intéressés restent indifférens devant une telle suite de noms souvent inconnus ou reculent devant le travail de composer une liste aussi longue.

L’assemblée des plus imposés, qui est toujours peu nombreuse, se laisse d’ordinaire plus ou moins dominer par les influences de familles ou les relations personnelles. L’assemblée des moins imposés, qui en dépit des abstentions reste souvent trop nombreuse, est en proie à la confusion et au désordre. Les mêmes élections réunissent ainsi deux défauts opposés. Le nombre des hommes à élire étant considérable et celui des électeurs présens étant souvent relativement très faible, on peut retrouver dans ces comices municipaux le même phénomène que dans les assemblées des propriétaires pour les élections provinciales. Il arrive parfois, dans le premier collège du moins, qu’il y ait autant d’élus que de votans. C’est ainsi qu’à Saint-Pétersbourg, en 1873, l’assemblée des gros contribuables n’avait réuni que 86 électeurs pour nommer 84 conseillers. Si, dans les autres collèges, l’abandon des urnes ne suffit point à maintenir

  1. En 1873, par exemple, 18,590 électeurs avaient été portés sur les listes électorales de Saint-Pétersbourg. Dans le premier collège, comprenant 224 électeurs, il n’y avait eu que 86 votans ; dans le second comptant 887 électeurs inscrits, 177 votans seulement ; dans le troisième enfin, comptant 17,479 électeurs, 1,148, c’est-à-dire un quinzième à peine, avaient pris part au vote. Je n’ai point encore les chiffres exacts pour les dernières élections, mais je ne crois pas qu’ils diffèrent beaucoup des précédens.