Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/815

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

provinciaux (zemstvos)[1]. Ces institutions municipales avaient été plus ou moins remaniées sous les prédécesseurs d’Alexandre II, sans perdre leur caractère fondamental. Ce n’est qu’en 1870 qu’un nouveau statut (gorodovo e polojenie) a définitivement renversé les bases de l’administration urbaine. Selon les habitudes du gouvernement russe, qui applique rarement d’un coup les institutions nouvelles à toute la surface du territoire, la nouvelle loi municipale avait été expérimentée dans les trois grandes villes de l’empire, à Saint-Pétersbourg, à Moscou, à Odessa, avant d’être étendue à la généralité des villes de province[2].

La loi qui a récemment enlevé aux élections urbaines tout caractère corporatif n’a point pour cela supprimé l’organisation corporative donnée aux différens groupes des citadins par Catherine II. Ces anciens cadres, élevés au XVIIIe siècle à l’imitation de l’Allemagne, n’ont pas été brisés : marchands, petits bourgeois, artisans[3], ont, comme par le passé, conservé leurs assemblées et leurs chefs élus. La noblesse n’a pas seule ainsi le privilège de posséder une organisation corporative et de tenir des assemblées. Les mêmes droits se retrouvent, à un degré plus modeste, chez les autres classes ; mais les assemblées de ces dernières font peu parler d’elles. On s’y borne à traiter des affaires intéressant la communauté. Dans un pays où la vie publique serait active, où les citoyens seraient jaloux de se servir de tous les moyens d’influence laissés en leurs mains, une telle organisation, déjà presque séculaire, pourrait donner aux différens groupes de la population une singulière force avec une plus grande cohésion. En Russie il n’en est rien ; le cadre de certaines de ces corporations est du reste tout artificiel et déjà suranné. Loin de former autant d’états dans l’état ou de villes dans la ville, les communautés de marchands, de bourgeois, d’artisans, se bornent d’ordinaire à voter des secours pour leurs membres besoigneux, ou des fonds pour des souscriptions patriotiques. Au lieu de les redouter, l’administration s’en sert comme d’un instrument commode, pour faire exécuter les règlemens administratifs sur le commerce et sur les métiers[4]. Telles qu’elles

  1. Aux yeux du regretté M. Jou. Samarine, Revolutsionny conservatizm, ce rapprochement des classes urbaines dans une seule assemblée indiquait le penchant de Catherine II pour les assemblées communes à toutes les classes, pour ce que les Russes appellent vsesoslovnost.
  2. Le nouveau statut ne doit pas encore être appliqué partout ; un oukase de 1877 en a ordonné l’introduction dans les villes des trois provinces baltiques, Livonie, Courlande, Esthonie, qui conservaient encore leur vieille organisation allemande du moyen âge.
  3. Kouptsy, méchtchane, tsekhovye, voyez la Revue du 1er mai 1876.
  4. Chaque métier formant un tsekh a un chef élu, un ancien et tous les chefs de métiers nomment un chef commun appelé rémeslennyi golova (maire des artisans) qui est chargé de veiller à l’exécution des nombreux règlemens sur le travail, sur les apprentis, etc.