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de leçons et de modèles ? Et Paris, avec ses salons annuels, ses vingt musées, ses somptueux magasins qui sont aussi des musées, et ses milliers de boutiques qui sont des vitrines, avec enfin ses diverses expositions que multiplient l’état et les particuliers à l’École des Beaux-Arts, au Palais de l’Industrie, dans les cercles, chez les marchands de tableaux, Paris n’est-il pas un exposition permanente ? Mais si la France n’a rien à gagner aux expositions universelles, elle n’y risque rien. Quand la France appelle les nations à ces luttes pacifiques, elle les convie à venir décréter son triomphe. En parlant ainsi, nous constatons simplement un fait manifeste, nous n’entonnons point un dithyrambe patriotique. Nous estimons que les victoires du travail n’effacent pas les défaites de la guerre. Il y aurait danger pour un peuple à penser autrement, car l’histoire ne donne pas d’exemple d’une nation résignée à la perte de son rang chez laquelle l’éclipse des arts, des lettres et de l’industrie n’ait suivi de près la décadence militaire. On appelle volontiers les arts et les lettres les fruits de la paix, pacis fructus. Il semble au contraire qu’ils naissent et qu’ils se développent dans les fureurs de la guerre, comme l’éclair jaillit du choc des nuées. C’est après Salamine et Platée que s’épanouit le génie hellénique ; c’est après les longues guerres de César que chantent les poètes latins. Le magnifique éclat de la renaissance italienne resplendit au milieu des batailles, des assauts, des massacres des guerres civiles et des guerres étrangères. Quand l’Espagne a Cervantes, l’étendard des Castilles flotte sur le Nouveau-Monde et est redouté sur les champs de bataille de l’Europe. Quand l’Angleterre a Shakspeare, ses soldats et ses marins vainquent sous Raleigh, sous Drake et sous Essex. La grande époque de l’art dans les Pays-Bas correspond aux temps où les Provinces-Unies recouvrent leur indépendance avec les Nassau et deviennent maîtresses des mers avec Tromp et Ruyter. A l’heure où Herder, Schiller et Goethe écrivent, l’Allemagne combat ou arme. La France a porté trois siècles la double couronne des armes et des lettres ; et c’est à l’écho des canonnades de Valmy et d’Austerlitz que sont nés les hommes qui ont fait le grand mouvement intellectuel de 1830.


HENRY HOUSSAYE.