Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/804

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

figurines qui, s’ils ne valent pas tout à fait les saxes anciens, laissent bien en arrière pour l’harmonie des tons les saxes modernes.

Les faïences françaises ne méritent pas moins d’éloges. Admirons ces grandes faïences décoratives qui revêtent la façade sud du pavillon des beaux-arts : figures allégoriques d’Ehrmann, dessinées dans le style large et fier de la renaissance, et paysages de Gaeger, d’une lumière intense. Il faudrait un tel portique à l’exposition des faïences, où Gien et Nevers montrent leurs services à décors bleus et jaunes, Blois ses reproductions de belles faïences d’Oiron, Longwy ses grands vases craquelés à décor persan. Il y a aussi des faïences métalliques, semées de perles brillantes sur fond noir, des poteries peintes, des imitations de Moustier et de Vieux-Rouen, des plats et des aiguières où se tordent tous les reptiles de Bernard Palissy, des amphores et des bols de terre rouge sans email, renouvelés de l’époque gallo-romaine, enfin une innombrable série de services de table, d’un caractère tout moderne où le caprice des artistes a jeté tous les botes des basses-cours, tous les fruits des vergers et tous les légumes du potager. Ces peintures, librement conçues dans le style japonais, à peine ombrées et symétriquement disposées, se détachent en vives couleurs sur l’émail blanc des assiettes. Vraiment, on ne peut croire qu’il y a à peine vingt-cinq ans on considérait un service relevé de filets bleu, vert ou or comme le dernier terme de la richesse ornementale et du luxe décoratif ! Aujourd’hui, grâce à la quantité de modèles qu’a multipliés l’industrie céramique, chacun peut avoir, presque pour rien, un service dont les jolis dessins et les gaies couleurs sont la parure des nappes.

C’est tout justement l’exemple donné par les céramistes qui ont fait à bas prix les choses de goût, que nous voudrions voir suivre par toutes les branches de l’industrie du mobilier. On prête au ministre des beaux-arts, M. Bardoux, l’intention de rendre l’étude du dessin obligatoire non-seulement dans les lycées et les collèges, mais même dans les trente et quelque mille écoles primaires de France. Cette grande et féconde idée élèvera encore le niveau de l’art industriel. Tout ouvrier sera un artiste et, sans qu’il s’en doute, tout homme sera un juge un peu éclairé. Par la connaissance du dessin, — cette grammaire des yeux, — le goût s’épurera et s’avivera, et tomberont d’elles-mêmes les admirations imméritées pour le clinquant et le faux luxe. En Grèce, raconte Pline l’Ancien, une loi obligeait tous les enfans des hommes libres à apprendre le dessin. Une telle loi n’a-t-elle pas un peu contribué à former cette grande race d’artistes qui depuis les édifices et les statues jusqu’aux derniers vases d’argile n’a laissé que des œuvres parfaites ?