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rubanées, flacons filigranés semés de rassades brillantes, fioles jumelles formées de deux dauphins accolés, coupes dont les anses sont deux dragons à queue fourchue, calices côtelés épanouis en fleurs de lis, vases à long col, à panse ovoïde, et à orifice modelé en feuille d’acanthe ! Quelle magie dans ces nuances, blanc lacté, opale prismatique, rouge corallin, vert de mer, bleu céruléen, éclat des ors, des cuivres et des émaux, marbrure du rouge antique et du cipolin, opacité du jaspe et du lapis, transparence nébuleuse des stalactites de neige fondue ! Quelle légèreté enfin ! si grande qu’on pense que ces fioles et ces vases sont soufflés, non dans le verre en fusion, mais dans de la mousse de savon. On craint de les toucher de peur qu’ils ne s’évanouissent au moindre contact. Les anciens avaient certains tissus diaphanes et translucides qu’ils appelaient des vêtemens de verre, vitreœ vestes ; à la vue des verres de Venise, les modernes devaient transposer le mot et dire : verres mousseline. Au-dessus de ces fragiles merveilles pendent d’énormes lustres roses et bleus dont les pendeloques, les boules et les guirlandes se réfléchissent dans les grands miroirs à cadres en biseaux, qui garnissent les parois. Ne disons point adieu à la ville des lagunes sans regarder cette Mise au tombeau, belle mosaïque de tons très vifs et très harmonieux, qui prouve que les modernes Vénitiens n’ont pas oublié les leçons des maîtres mosaïstes du XVe siècle.

Nous voici en Espagne, à Grenade, devant l’Alhambra. On sait que l’Alhambra ne présente à l’extérieur qu’une agglomération de tours massives qui ne justifie pas l’idée de magnificence qu’évoque ce nom magique. Tout le luxe décoratif, toute la richesse ornementale du style moresque est réservée pour les façades intérieures qui entourent la cour des Lions. Forteresse pour qui est dehors, palais pour qui est dedans, tel est l’Alhambra. La façade de la section espagnole reproduit naturellement le palais et non la forteresse. C’est un pavillon de la cour des Lions encadré par deux corps de bâtiment conçus dans le même style. Dans la façade rutilante, décorée de peintures rouge, bleu et or, plaquée de revêtemens de faïence et de carreaux vernissés, couverte d’arabesques, de gaufrures, d’imbrications et d’entrelacs incisés dans le plâtre, se dessinent les portes en fer à cheval et les baies en ogive outrepassée. Les étroites arcatures et les arceaux trilobés se couronnent des dentelles des acrotères, et les frêles colonnes à chapiteaux cubiques supportent des voûtes taillées en stalactites. On s’attend à trouver derrière cette somptueuse façade une exposition variée et abondante, pleine de curieuses choses. Mais, sauf de belles armes damasquinées des fabriques de Tolède, et des coffrets, des vases et des cadres de bronze ciselé et niellé dans le style hispano-moresque, l’Espagne ne montre rien