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aucun obstacle à la libre sortie de la charrette qui contenait des objets appartenant en propre au colonel Dardelle. Les employés de la régie avaient bonne envie d’arrêter cette voiture, qui allait emporter le produit du pillage, mais l’heure n’était point propice aux observations, et l’on eut la sage prudence de s’abstenir. On eût été coupable de risquer la vie d’hommes probes et dévoués pour ne pas réussir peut-être à sauver quelques débris de ce grand naufrage. Wernert fit sortir lui-même la charrette par l’Arc-de-Triomphe, puis il se rendit près de M. Potel, auquel il emprunta des habits bourgeois. Il les revêtit, et, se sentant suffisamment déguisé, il s’éloigna, conduisant la voiture vers une destination qui n’a pas été connue.

Cet homme se rendait-il complice d’un vol ? acceptait-il volontairement un rôle qui lui permettait de ne pas combattre ? emmenait-il ces objets avec l’intention de les restituer plus tard à une autorité légitime ? saisissait-il avec empressement l’occasion de quitter les Tuileries ? était-ce un fédéré, était-ce un Versaillais ? Je ne sais. Il ne fut arrêté que longtemps après la chute de la commune, et le 20 juillet 1871 il remettait à M. Potel un certificat ainsi conçu : « Je soussigné, Antoine Wernert, capitaine commandant en second les Tuileries pendant le règne de la commune, suivant mandat de M. Domalain, lieutenant de vaisseau et colonel de la légion bretonne, chargé par le chef du pouvoir exécutif et le ministre de la guerre d’organiser une contre-révolution pour combattre la commune insurrectionnelle de Paris, certifie que le lundi 22 mai, vers neuf heures du matin, après avoir renvoyé des Tuileries les gardes nationaux qui y étaient de garde à l’exception d’environ trente hommes d’une compagnie du 57e fédéré qui avaient refusé de partir en me réclamant des munitions avec menaces, lesquels, sur mon refus réitéré, tinrent conseil pour me fusiller, M. Potel, employé aux Tuileries, l’ayant entendu, me facilita mon évasion en me donnant des effets d’habillement pour changer de tenue. Signé : Wernert. » Nous le répétons ; la justice, après enquête, n’a pas cru devoir accepter cette version, et Wernert a été condamné. Quoi qu’il en soit, il avait quitté les Tuileries entre neuf et dix heures du matin. J’imagine que Dardelle aurait volontiers suivi son exemple, s’il n’en avait été empêché par l’arrivée d’un des grands personnages de la commune[1].

  1. Sur une liste contenant les noms des chefs de groupe ralliés à la conspiration des Brassards, je trouve celui d’Antoine Wernert. Pour toutes les tentatives faites par les gens de bien pendant la commune, voir le livre de M. A.-J. Dalsème : Histoire des conspirateurs sous la commune, Paris 1872. Ce volume abonde en documens authentiques et jette une vive lueur sur les menées secrètes de cette époque. L’auteur cependant me parait n’avoir été initié que d’une façon incomplète à la négociation conduite par George Veysset avec Dombrowski et Hutzinger. Il nomme ce dernier Enger, reproduisant ainsi l’erreur commise par l’amiral Saisset dans sa déposition.