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point rassurante, car chacun fut satisfait et nul ne souffla mot. Je crois bien que Dardelle a pris part à cette petite expédition si valeureusement dirigée contre le bon vin de la tyrannie, car Madeuf, lorsqu’il comparut le 19 mai 1875 devant le 3e conseil de guerre, « avoue avoir reçu six bouteilles de vin provenant de la liste civile, après qu’une brèche eut été pratiquée dans la cave murée et que Dardelle eut fait des distributions à sa suite. » Rêver de délivrer l’humanité tout entière, vouloir proclamer la république universelle et aboutir à la conquête d’une cave amplement garnie, ce n’est vraiment pas suffisant pour mériter le respect de l’histoire.

Deux ou trois jours après cette algarade menée par la bande de filous que Jacques West seul avait mise en fuite, on vit arriver de lourdes voitures de déménagement qui venaient de l’ancien garde-meuble de la couronne. Elles apportaient tous les objets un peu volumineux enlevés dans la maison de M. Thiers. En les plaçant aux Tuileries, voulait-on les soustraire à la destruction qui les menaçait dans l’ancienne île des Cygnes, destinée à supporter bientôt un violent combat d’artillerie ? voulait-on au contraire les avoir immédiatement sous la main pour y mettre le feu en cas de défaite ? Bien fin est celui qui pourrait répondre à cette question. Tous les meubles provenant de l’hôtel Saint-Georges récemment démoli furent emmagasinés au pavillon de Flore, dans deux vastes pièces du rez-de-chaussée, ouvertes sur la cour et que l’on nommait les salles de stuc. Le même jour, une équipe de fuséens était venue s’établir dans le poste des Tuileries, entre le pavillon de l’Horloge et le pavillon Marsan ; c’est là une singulière coïncidence qui est peut-être fortuite, mais qui du moins est de nature à faire naître les soupçons. La note de Grélier que j’ai citée au début de cette étude est explicite sur le rôle de Dardelle ; elle dit en termes fort nets que ce colonel-gouverneur « a placé les poudres aux Tuileries. » Nous pouvons, à cet égard, croire un membre du comité central qui pendant toute la commune et jusqu’à la fin déploya une activité redoutable. Cependant rien dans les dépositions des témoins oculaires n’affirme d’une manière positive que Dardelle ait fait disposer des poudres dans une partie quelconque du palais, pour en faciliter l’explosion. En si grosses matières, l’accusé doit jouir des bénéfices du doute, aussi bien dans l’histoire que devant les tribunaux. Il est donc possible que les poudres dont parle Grélier et qu’il loue Dardelle d’avoir intentionnellement introduites dans le château aient été tout simplement des munitions appartenant au parc d’artillerie rangé dans la cour et aient été déposées, à l’abri de l’humidité, dans le rez-de-chaussée du pavillon central. C’est là une explication que l’on est d’autant plus enclin à accepter que Dardelle, sorte d’épicurien médiocre, de nature peu scrupuleuse, fort ignorant et très