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l’idée de s’installer dans les musées ; il s’établit dans l’appartement qu’occupait avant la guerre le colonel de la gendarmerie de la garde ; il y passa comme un ouragan et n’y laissa rien. Il poussa même ses expéditions un peu plus loin. Aidé d’un Charles Lacaille, commandant du 70e bataillon de fédérés, il mit au pillage les appartemens des officiers du régiment des grenadiers de la garde. Comme il désirait « recevoir, » il se fit délivrer par la régie un service de table complet, dont on ne retrouva pas une assiette ; quant au linge, il le faisait enlever par ballots. Il ne dédaignait rien ; dans une de ses « revendications, » il découvre une petite malle appartenant à un tambour ; il la force, y trouve un gilet de tricot et un paquet de lettres, il laisse les lettres par discrétion, mais il emporte le gilet dans la crainte du froid. La révolte eut en lui un bon ouvrier de la dernière heure, car il maniait aussi bien la torche que le fusil. De l’instrument du mal il ne se souciait guère, pourvu que l’instrument fût terrible et le mal irréparable. Il avait amené un compère avec lui, qui avait pris logement au rez-de-chaussée de l’ancien ministère d’état, sur le square Napoléon III. C’était un homme jeune, d’assez bonne tournure, médecin, disait-on, commandant le 202e fédérés, Polonais, et qui se nommait Kaweski. Ce nom-là m’a tout l’air de cacher un pseudonyme. En tout cas celui qui le portait a si bien disparu que nul n’a jamais retrouvé ses traces.

Le lendemain du jour où Bénot prit possession de son gouvernement du Louvre, il advint à son collègue des Tuileries une assez désagréable aventure. Le colonel Alexis Dardelle fut arrêté. Cette histoire-là est bien obscure. C’est une énigme : je ne puis que la raconter sans en dire le mot que j’ignore et que nul ne me confiera. « Comité de salut public à sûreté générale : Faire arrêter le citoyen Dardelle, colonel commandant les Tuileries, accusé de détournement d’objets d’art et de relations avec l’ennemi ; G. Ranvier, Ant. Arnaud. » Le mandat d’amener fut signé par Dacosta et mis à exécution. Dardelle protesta très vivement, et l’un des brigadiers de service auprès de lui, le nommé Lemaître, dégaina lestement pour délivrer son colonel. Celui-ci fut conduit à Mazas et n’y resta pas longtemps, car le 10 mai il était rendu à la liberté par ordre de Raoul Rigault, procureur de la commune. Dardelle ressaisit simplement ses fonctions de gouverneur aux Tuileries dont l’intérim avait été fait, pendant son incarcération, par le colonel Martin. On crut sans doute que Dardelle avait des complices ; cela résulte du moins de la pièce que voici : « Ordre d’arrestation. Le commandant militaire du palais des Tuileries fera arrêter et conduire à la prison du Cherche-Midi les citoyens Boudin, capitaine d’état-major aux Tuileries, Lemaître, brigadier au service des