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outre que de nombreux débris de métal tordu par le feu ont été retrouvés parmi les ruines du palais et j’ajouterai qu’une assez intéressante collection de médailles en or, en argent, en vermeil, rassemblée par Napoléon III, se trouve actuellement en Angleterre entre les mains d’un individu, condamné à mort par contumace, qui habita les Tuileries pendant la commune, et dont la science numismatique parvient, tout juste, à reconnaître au poids la différence qu’il y a entre un Othon et un Alexandre. Il est fort probable que des détournemens ont été commis au préjudice de la liquidation de l’ancienne liste civile et du domaine privé, mais que ces détournemens, grâce à la surveillance des employés de la régie régulière, grâce à la sévère probité de Jourde, n’ont pu s’exercer qu’en secret et sur des objets dont la valeur ne devait pas être considérable. C’est là du moins ce que l’on peut supposer, car l’incendie a rendu toute constatation impossible.

On vivait aux Tuileries dans une sorte de tranquillité relative lorsqu’un mauvais voisinage vint y apporter le trouble. Le 5 mai, Victor Bénot fut nommé gouverneur du Louvre, Victor Bénot qui s’intitulait pompeusement colonel des gardes du général Bergeret, qui devait donner le branle au massacre de la rue Haxo et être arrêté, à la fin du grand combat, sur la barricade de la rue Rébeval. Ce colonel était garçon boucher ; pas même, il était bouvier et conduisait « la viande sur pied » jusqu’à l’abattoir. C’était un lourd garçon, lippu, haut en couleur, absolument brute, ivrogne fieffé, radicalement dénué de sens moral, battant les femmes, battant les enfans, n’ayant d’autre argument que celui du coup de poing, argument redoutable, car il était d’une force herculéenne, tutoyant tout le monde et couchant avec ses bottes, « parce qu’il trouvait ça plus commode. » Ce fut un des brillans officiers de la commune. Ses façons d’être n’étaient point précisément exquises et ne rappelaient que bien vaguement celles de l’ancienne cour ; lorsqu’il donnait un ordre à l’un de ses officiers, il ajoutait : « Plus vite que cela, ou je t’enlève le baluchon ! » Parfaitement stupide du reste et voleur par-dessus le marché. Il avait servi ; c’était un engagé volontaire, mais sa vocation ne paraît pas avoir été d’une qualité irréprochable. Il entre au régiment le 1er mars 1850 ; le 10 janvier 1851 il est condamné à deux mois de prison pour vente d’habillemens ; le 30 octobre 1852 à trois ans de prison pour escroquerie ; le 18 mars 1854, étant au pénitencier d’Alger, à deux ans pour vente d’effets ne lui appartenant pas. Ce Bénot était prédestiné à la commune, il n’y pouvait manquer : il en fut colonel ; si elle eût duré, il en eût été général. Il avait du zèle ; du 20 au 30 mars il est place Vendôme, du 2 avril au 3 mai à la porte de Passy. C’est alors qu’on l’envoie au Louvre comme la grêle sur un champ de blé. Heureusement qu’il n’eut point