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aperçu Boudin qui, ayant quitté son uniforme et revêtu une blouse, rôdait, quœrens quem devoret, dans les salons, dans les galeries et jusque sous les combles. On redoublait alors de surveillance et l’on s’assurait que les serrures étaient bien fermées. Capitaine adjudant-major, Etienne Boudin avait un planton, jeune fédéré de seize à dix-sept ans, nommé Albert Sech, malfaisant comme un gamin de : Paris lâché en pleine débauche, orphelin, grandi au hasard, nourri on ne sait comme, et auquel les scrofules avaient enlevé quatre doigts de la main gauche ; il avait beau être estropié, il n’en était pas moins fort adroit et très agile ; il le prouva lorsque l’on incendia le palais.

Etienne Boudin seul aurait suffi à terrifier et à maltraiter tous les gens du château, s’il n’avait été tenu en bride par un homme qui lui faisait un peu peur, qui semble avoir pris domicile aux Tuileries afin d’éviter de combattre contre l’armée française et qui y déploya une sérieuse énergie pour protéger les employés. C’était un Alsacien qui s’appelait Jacques West. Dans le monde de la commune, il constitue une exception intéressante, car, si je ne me trompe, il a été abusé et s’est perdu par un excès de patriotisme. Il avait servi dans l’armée française, qu’il avait quittée avec le grade de capitaine de zouaves, la croix de la Légion d’honneur, la médaille d’Italie et s’était établi à Strasbourg, où il dirigea une entreprise de maçonnerie. Lorsque la guerre éclata, il fut nommé lieutenant dans les francs-tireurs du Bas-Rhin, défendit Strasbourg avec ardeur, et, dès que l’armistice fut conclu, se jeta dans Paris pour y chercher des adversaires à l’ennemi qui brisait sa nationalité et lui enlevait son pays natal. Il se rallia sans hésitation à la fédération de la garde nationale, naïvement persuadé qu’elle ne mentait pas lorsqu’elle jurait de s’opposer à l’entrée des Allemands dans Paris, de reprendre la guerre à outrance et de ne signer la paix qu’à Berlin. Jacques West accepta toutes ces billevesées comme paroles d’évangile ; lui aussi il voûtait lutter encore ; il rêvait de se jeter dans les Vosges, de traverser le Rhin, d’aller ravager le grand-duché de Bade, d’enlever Rastatt, et de rentrer triomphalement à Strasbourg. Dans ce dessein, il essaya de former une légion alsacienne-lorraine, qu’il ne faut point confondre avec la légion lorraine-alsacienne commandée par Othon, et il en fut naturellement élu colonel.

Son illusion fut tenace ; du moins il faut le croire, car elle résista à la proclamation que le comité central fit placarder le 191 mars, au lendemain des assassinats victorieux à Montmartre : « Citoyens de Paris, dans trois jours vous serez appelés en toute liberté à nommer la municipalité parisienne. Alors ceux qui, par nécessité urgente, occupent le pouvoir, déposeront leurs titres