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pour beaucoup dans le rôle qu’il se plut à jouer, ceint d’une écharpe rouge ornée de revolvers, criant à travers les cours, piaillant dans les corps de garde et caracolant lorsqu’il se rendait « à l’ordre » à l’état-major de la place Vendôme ; il ne vola pas et fut seulement convaincu d’avoir reçu six bouteilles de vin provenant de l’ancienne liste civile : péché mignon qui mérite à peine une réprimande et qui n’aurait certainement pas interrompu la carrière dramatique de Madeuf, si ce grand premier rôle du théâtre de Perpignan n’avait été un spectateur trop désintéressé de la destruction des Tuileries.

Au-dessous de Madeuf s’agitait un tout autre homme, un certain Etienne Boudin, qualifié de capitaine adjudant-major. Ce n’était qu’un sous-ordre, mais il était digne, par ses exécrables instincts, de marcher de pair et de compagnon avec Ferré, Rigault, Eudes, Ranvier, Mégy et les autres carnassiers de la commune. Il n’y a qu’un cri contre lui : « C’était le génie du mal incarné. » Ses vices le harcelaient et ne lui laissaient point de repos ; il était complet : il fut ivrogne, voleur, incendiaire et assassin. Il avait alors quarante-trois ans, avait fait un congé dans un régiment du génie et portait la médaille de Crimée. En sortant de l’armée, il avait sollicité et obtenu une place de sergent de ville ; une troupe d’élite où la probité la plus scrupuleuse est l’esprit même du corps, où une seule faute contre la sobriété entraîne l’expulsion immédiate, n’était point pour conserver longtemps un gaillard qui aimait à boire et ne dédaignait pas le bien d’autrui. Au bout de trois mois, Etienne Boudin était congédié et reprenait son état de menuisier, dans lequel il était habile. C’est en cette qualité qu’il fut souvent employé aux Tuileries, pendant les années qui précédèrent la chute du second empire. Il avait eu des boiseries à refaire, des placards à réparer ; il avait vagué dans le château, en connaissait tous les êtres et avait pu en apprécier la richesse. Il aurait bien voulu faire partie de cette chambre de veille instituée sous le consulat par l’architecte Fontaine, composée d’un serrurier, d’un fumiste, d’un menuisier, d’un charpentier, d’un couvreur, d’un plombier, et qui, les jours de réception et de bal, se tenait en permanence en cas d’incendie ; mais la place qu’il eût pu occuper était prise et ne fut point rendue vacante pour lui. Il savait bien ce qu’il faisait lorsqu’après le 18 mars il s’arrangeait de façon à être attaché à l’état-major de Dardelle ; il avait bien compté que l’occasion ne lui manquerait pas de fureter dans les bons endroits et d’y faire main basse sur quelques objets à sa convenance ; mais il fut en partie déçu dans son espoir, car les surveillans, les employés, les hommes de peine de la régie régulière se méfiaient de lui et gardaient avec soin les portes des appartemens où les meubles précieux de la liste civile avaient été déposés après le 4 septembre. Plusieurs fois ils avaient