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Tuileries. Cet Alexis Dardelle, qui avait servi aux chasseurs d’Afrique, avait été trouvé par le 18 mars à la tête de quelques cavaliers de la garde nationale. Sur les hauteurs de Montmartre, ce transfuge de l’armée se jeta dans la révolte, facilita la reprise des canons et mérita d’être promu au grade de colonel commandant les cavaliers de la république ; titre honorifique sous la commune, qui eut si peu de cavalerie que Rossel, délégué à la guerre, et animé d’idées de réformes pratiques, avait prescrit la création d’un corps de vélocipédistes. En attendant que la future cavalerie fût organisée et que Dardelle en devînt le Murât, il avait été nommé gouverneur militaire du château des Tuileries, ce qui lui permit de vivre paisiblement, grassement et « loin des soucis de la guerre. » C’était un grand garçon grassouillet, prétentieux, portant la tête de côté, aimant à passer la main dans ses longs cheveux, souriant volontiers avec complaisance pour lui-même, bellâtre et s’admirant fort ; mais malgré la beauté vulgaire dont il s’enorgueillissait, il aurait pu réciter la fable de Phèdre : Pavo ad Junonem, car il avait une voix affreuse, éraillée et bien réellement alcoolique. Il ne détestait point la bombance et avait pour les femmes des regards vainqueurs qui ne les laissaient point insensibles. Ses attitudes penchées, ses façons sottement précieuses, faisaient dire qu’il avait essayé d’être acteur dans un tout petit théâtre : le fait est peut-être vrai, mais je n’en trouve point trace authentique ; je sais seulement qu’au début de la guerre de 1870 Dardelle était employé à la gare d’un de nos chemins de fer. Dans le monde des fédérés, il avait quelque réputation d’artiste ; les hommes et surtout certaines femmes de son entourage disaient : « Il touche très bien du piano. » Il savait la musique, en effet, et pendant tout le temps de son séjour aux Tuileries, il allait jouer de l’orgue dans la chapelle, qui retentissait alors d’airs un peu profanes pour un tel lieu. Quoiqu’il eût le vin « mauvais, » disait-on, il ne fut point méchant pour les employés réguliers du château restés à leur poste. Il avait cependant, en qualité de gouverneur, des prétentions qui parfois semblèrent excessives. Ainsi il voulait avoir toutes les clefs et il fit enlever celles qui fermaient l’agence des travaux du Louvre ; il ne fallut rien moins que l’intervention de l’ouvrier bijoutier Frankel, membre de la commune, délégué au ministère des travaux publics, pour les faire restituer à qui de droit. Dardelle aurait traversé fort obscurément la commune, si les Tuileries n’avaient point été brûlées, — encore n’a-t-on pas la preuve qu’il ait mis la main à l’incendie.

Il avait pris possession de son gouvernement le 19 mars, et dès le 26 il put reconnaître que son autorité était bien plus nominative que réelle. Le 127a bataillon tenait garnison au château ; les fédérés pensèrent que le 26 mars était un jour triplement férié, puisque