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dans les ordres sacrés, il ne s’était pas séparé de sa femme ; mais ils n’avaient plus conservé ensemble que des rapports fraternels : c’est ce qu’il expliquait en disant « qu’ils étaient toujours unis, mais d’une autre façon, qu’ils restaient les mêmes et qu’ils étaient changés. » Jusqu’à sa mort, Thérasia garda sa place à côté de celui qui avait été son mari, et il semble que saint Paulin, pour empêcher qu’on n’oubliât la compagne de sa retraite, prenait plaisir à rappeler son nom dans toutes ses lettres. Saint Jérôme a exprimé avec beaucoup de bonheur le rôle nouveau de la femme dans cette situation délicate. Il disait à un Espagnol qui avait imité l’exemple de saint Paulin : « Vous avez avec vous celle qui était autrefois votre compagne dans la chair, et qui ne l’est plus que dans l’esprit ; c’était votre épouse, vous en avez fait votre sœur ; c’était une femme, elle est devenue un homme ; c’était votre sujette, elle est maintenant votre égale. » Voilà bien la manière dont saint Paulin parle toujours de sa femme dans ses lettres ; elle est tout à fait son égale. Il ne l’a pas seulement associée à ses œuvres pieuses, elle participe à toutes ses pensées, et, quand il écrit pour poser aux autres quelque question ou pour résoudre celles qu’on lui a posées, le nom de Thérasia accompagne toujours le sien.

La correspondance de saint Paulin ne ressemble pas tout à fait à celle des Augustin et des Jérôme ; il ne pouvait pas se permettre, comme eux, d’interpréter les livres sacrés ou d’expliquer les mystères du dogme. L’élève d’Ausone était resté surtout un lettré élégant et un orateur agréable. « Si à cette éloquence et à cette sagesse, lui disait saint Jérôme, vous pouviez joindre l’étude et l’intelligence des Écritures, vous seriez le premier de nous. » Mais il les connaissait médiocrement, et sa nature ne le portait pas à en pénétrer les profondeurs. Il a du reste le sentiment de ce qui lui manque. « Je ne suis encore, dit-il à saint Augustin, qu’un petit enfant qui ne sait pas marcher seul ; » et il lui demande son aide pour se soutenir. La théologie lui réussit moins qu’aux autres docteurs de cette époque, et d’ordinaire il s’en tient éloigné ; il s’occupe plus volontiers de la morale. Ses lettres, pleines de foi et d’onction, quelquefois spirituelles, avec un tour malin qui rappelle l’homme du monde, eurent de son temps un succès qui l’étonna. Tillemont trouve « qu’elles divertissent beaucoup plus qu’elles n’instruisent. » Elles divertiraient davantage, si elles étaient un peu moins verbeuses ; ce défaut n’a pas tout à fait échappé à l’auteur, qui le signale sans pouvoir l’éviter. Il paraît un jour très surpris qu’on les trouve trop courtes : « Quant à moi, répond-il, elles me semblent beaucoup trop longues. » Une autre fois, sentant qu’il n’en finit pas, il se reprend lui-même avec une aimable bonhomie. « Mon frère, dit-il, je m’aperçois que je bavarde, nimis garrio, frater ; sentio. »