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ESSAIS ET NOTICES
La Comtesse de Rochefort et ses amis, par Louis de Loménie. Paris, 1878, 1 vol. in-8o, Calmann Lévy.


Au moment où M. de Loménie dépouillait nos archives pour faire un travail complet sur les Mirabeau, il rencontra des lettres de Mme de Rochefort, des pensées, des comédies de salon écrites par son frère, M. de Forcalquier, et, séduit par toute cette série de documens, il composa un livre dont les lecteurs de la Revue ont eu la primeur.

Bien qu’elle n’ait pas joué un rôle important dans la société du XVIIIe siècle, Mme de Rochefort eut cependant un talent singulier : celui de savoir plaire et réunir autour d’elle nombre de gens importans. Vivant au Luxembourg et n’ayant pas de maison à elle, comme on l’entendait alors, elle n’en donnait pas moins des soupers dont le président Hénault disait « qu’il n’y avait de différence entre sa cuisine et la Brinvilliers que l’intention. » Tout cela n’empêchait pas de se rendre chez Mme de Rochefort, où l’on trouvait le marquis de Mirabeau, Walpole, le président Hénault et M. de Nivernais, qui fut son second mari.

M. de Loménie nous promène lentement au milieu de toute cette société, cite portraits sur portraits, toutes les lettres inédites qu’il a trouvées, et termine par deux des comédies de M. de Forcalquier ; ce volume n’en a pas moins un grand charme, car il fait bien revivre tout ce monde occupé de préséances de cour et abandonnant les affaires du pays. Que l’on nous permette cependant de dire que M. de Loménie est un peu comme les gens dont il parle, il passe avec facilité d’un sujet à un autre, ouvre une parenthèse et se met à développer une idée qui lui est venue. Nous ne citerons, pour prouver cette tendance de son esprit, que le long parallèle qu’il a introduit dans son livre sur l’adultère au théâtre à propos de la Mère coupable. Nos dramaturges d’aujourd’hui sont mis longuement en cause ; M. de Forcalquier, que nous sachions, n’a pas eu une influence quelconque sur notre théâtre qui nécessitât une aussi longue digression. Walpole d’ailleurs a porté un jugement définitif sur le frère de Mme de Rochefort en le plaçant au sommet de la médiocrité, et si l’on écoutait Mme Geoffrin parlant de M. de Nivernais, on placerait ce dernier « en seconde ligne dans toutes les régions où s’est exercée son activité. » Ainsi, sauf Mme de Rochefort, les personnages dont parle M. de Loménie sont secondaires ; ce qui les rend intéressans, c’est le temps où ils ont vécu : n’est-il pas bon et curieux de savoir ce qu’ont pensé les spectateurs des grandes crises historiques ?

M. de Loménie était un chercheur de curiosités littéraires ; il eut la bonne fortune de rencontrer les papiers de Beaumarchais, et, si la mort ne fût venue l’interrompre, il nous eût donné une étude des plus complètes sur les Mirabeau.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.