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assez pour produire d’édifiantes rêvélations, pour mettre à nu ce que pensent certains hommes, certains partis italiens. M. Crispi, qui avait disparu depuis quelque temps de la scène, vient, à ce qu’il paraît, de faire sa rentrée en dictant à un journal, dont il est le propriétaire et l’inspirateur, une série de confidences sur le voyage assez bruyant que l’ancien président de la chambre a fait l’an dernier en Allemagne. M. Crispi, à ce qu’il assure, avait décidément une mission. Il allait traiter les plus hauts intérêts avec M. de Bismarck, qu’il a vu à Berlin et à Gastein ; il allait parler du rôle de l’Italie, de l’Orient, de l’occupation éventuelle de la Bosnie et de l’Herzégovine par l’Autriche, de beaucoup d’autres choses encore sans doute, de la France peut-être. Il avait à nouer les plus vastes combinaisons avec le grand allié allemand, le tout-puissant chancelier, qui n’y allait pas de main légère, qui conseillait fort à M. Crispi et à ses amis d’être hardis, de ne pas craindre de relever la question italienne, de dire ce qu’ils voudraient sur les bords de l’Adriatique ou ailleurs.

Le récit est complet, et de ces petites indiscrétions que reste-t-il ? D’abord une chose qui n’était pas absolument un mystère : c’est qu’en 1870 M. de Bismarck s’était « mis en communication directe avec les hommes les plus autorisés de la gauche italienne, » qu’il leur avait conseillé de prendre Rome et Nice, que « la gauche, par l’intermédiaire de ses chefs, s’était engagée à empêcher l’alliance avec la France, » et que le plan n’avait manqué, au moins pour Nice, que par la résistance du roi, par la répugnance des modérés qui étaient au pouvoir. Eh bien ! on ne l’ignorait pas, M. Crispi ne révèle rien ; la France sait dans quels rangs elle a trouvé des sympathies, des amitiés attristées en Italie au moment du malheur, elle sait aussi quels sont les hommes, les partis italiens qui ont toujours mis dans leur politique l’alliance cordiale, sérieuse des deux pays. L’aveu des sentimens de la gauche peut être naïf, il ne relève pas ceux qui le font, ceux qui, après tout, n’auraient été dans leur propre pays que les auxiliaires d’un ministre étranger dans des circonstances difficiles ; mais ce n’est pas uniquement, à ce qu’il semble, pour échanger des souvenirs sur 1870 avec M. de Bismarck ou pour réchauffer ses sentimens envers la France que M. Crispi serait allé à Berlin l’an dernier. Il allait résoudre la question des « compensations » pour l’Italie. M. Crispi, encouragé par M. de Bismarck, allait vite : d’un seul coup l’Italie était reconnue la « protectrice naturelle de la Grèce ; » elle assumait « le patronage de la Roumanie ; » elle pouvait prendre l’Albanie si elle voulait, M. de Bismarck l’y poussait, et, comme M. Crispi ne mordait pas à l’Albanie, le chancelier, qui a la main large quand il s’agit d’offrir le bien d’autrui, pressait l’Italie de choisir ce qu’elle voulait sur l’Adriatique, de demander sans hésiter, — « lors même que ce ne serait pas l’Albanie. » Il y aurait eu dès ce