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rien espéré, et où il ne serait même pas disposé à se payer de vaines compensations aux dépens d’un empire en liquidation. L’Italie, quant à elle, n’a pas su déguiser ses mécomptes, ou, pour mieux dire, il y a au-delà des Alpes un parti qui a laissé naïvement percer son dépit, qui n’a pas su pardonner à M. le comte Corti de revenir de la distribution de Berlin bs mains vides. Qu’aurait donc pu rapporter le comte Corti pour faire plaisir aux révolutionnaires italiens, aux partisans de l’Italia irredenta ? il parait qu’à propos des affaires d’Orient il aurait dû revendiquer solennellement dans le congrès le Trentin et Trieste. Il ne l’a pas fait, il est revenu de Berlin sans avoir obtenu sur ce point la moindre satisfaction, sans avoir même essayé d’évoquer la question, et aussitôt une sorte d’agitation a éclaté plus ou moins spontanément à Rome, à Naples, à Bologne, à Milan, dans les principales villes italiennes. On est allé manifester autour de l’ambassade autrichienne à Rome, les meetings se sont multipliés, les discours se sont succédé. Le vieux Garibaldi lui-même, du fond de son île de Caprera, a envoyé des télégrammes pour engager les patriotes de Trieste à « gagner la montagne » et à prendre le mousquet. Tout cela n’est pas sans doute bien sérieux et n’a rien d’inquiétant ; c’est cependant assez curieux, et le ministère, quoique représentant la gauche au pouvoir, a dû naturellement se hâter de prendre des mesures pour contenir cette légère agitation dans des limites strictement légales. C’était son devoir de prendre dès le premier moment une attitude correcte ; c’était aussi un acte de prévoyance, ne fût-ce que pour décourager une émotion factice et pour s’épargner à lui-même d’avoir à calmer officiellement les susceptibilités qui auraient pu se produire à Vienne. Que les Italiens aient été un peu déçus par les résultats du congrès de Berlin, qu’ils ne voient pas sans quelque dépit l’Autriche étendre sa domination sur l’Adriatique, s’acheminer vers la mer Egée, tandis que l’Angleterre va dans l’île de Chypre, à l’extrémité orientale de la Méditerranée, on le comprend un peu ; mais là où ils se font une singulière illusion qui pourrait les exposer à un certain ridicule, c’est lorsqu’ils ont l’air de se figurer qu’il n’y a qu’à manifester contre l’Autrichien, à demander à l’Autriche Trente et Trieste. Les naïfs orateurs qui dans les assemblées populaires parlent d’armer la nation pour les provinces irredente oublient que le temps des vraies revendications nationales est passé, que la ville de Trieste, fût-elle perdue par l’Autriche, n’irait pas à l’Italie ; elle aurait ailleurs, à Berlin même, un héritier, un maître qui se hâterait de la réclamer comme ayant appartenu à la confédération germanique, comme la porte ouverte à l’Allemagne sur l’Adriatique, sur les mers du midi.

La campagne de l’Italia irredenta, si elle n’est déjà finie, est bien près d’expirer désavouée par le bon sens national. Elle a pourtant duré