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Peut-être même son explication présenterait-elle moins de difficultés à rechercher que les caractères qui spécifient chacun des tracés phonographiques. Il est possible en effet qu’elle puisse se rattacher sans trop de peine aux phénomènes électro-capillaires. Mais qu’importé tout cela à Edison ?

Heureux hommes que ceux qui peuvent arriver aux termes de leurs désirs, aux réalisations d’espérances longtemps caressées ! Cette joie n’est pas réservée au philosophe, au véritable savant ! Celui-ci n’a jamais terminé son œuvre parce que son œuvre est infinie. De même qu’un chef d’état n’est jamais en droit de dire : « J’ai donné une impulsion définitive aux rouages de mon gouvernement. Désormais tout marchera éternellement dans la bonne voie sans rencontrer d’obstacle ; aucune direction n’est plus nécessaire, » de même un savant ne pourra jamais dire : « La science ne contient plus rien d’obscur. J’ai maintenant tout expliqué, ma tâche est accomplie. » Mais l’inventeur, lorsqu’il a réalisé chacune de ses conceptions, a chaque fois terminé son œuvre. Semblable en cela aux artistes, le nombre de ses productions ne dépendra que de sa volonté, de son imagination et de la promptitude de ses procédés. Il pourra de la sorte, dans le cours de son existence, donner à ses contemporains d’éclatans sujets d’admiration. C’est pourquoi, inventeurs, artistes, arrivent tant de fois à la renommée de leur vivant. Ils entendent leur nom prononcé par toutes les bouches… Le philosophe ne connaît pas cette jouissance ; il ne songe même pas à la rechercher. Pour lui la gloire est trop souvent posthume. C’est quand il n’est plus qu’on sait reconnaître le prix de ses travaux. C’est que la vérité, dont il recherche sans relâche toutes les pistes, s’ingénie à prendre les formes les plus variées pour lui échapper. Chaque fois qu’il déchire le voile qui semble la dérober à ses regards, il n’aperçoit qu’un horizon couvert de vapeurs épaisses et dont les dernières limites sont toujours dissimulées. Ce que vise l’inventeur est tangible, est matériel ; ce que vise le philosophe est dans l’esprit. L’inventeur possède un but ; le savant poursuit un idéal.


ANTOINE BREGUET.