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faire que tel chef d’usine soit naturellement porté à affecter au moins peu de déférence pour les conceptions théoriques du savant. Le rôle de l’inventeur se trouve être justement de servir de trait d’union entre la science et l’industrie. Par son penchant à rechercher le côté pratique de toutes choses, l’inventeur saisit promptement ce qu’un principe en apparence abstrait peut receler de ressourcés précieuses. Aussitôt il se met à l’œuvre, aiguillonné par l’ambition bien légitime de produire au jour une création de son esprit, et aussi par l’espoir d’arriver à une découverte dont l’exploitation puisse lui amener la fortune. En résumé, le savant prépare le terrain et pose les premiers fondemens, l’inventeur conçoit l’édifice, et l’industriel l’exécute.

En Angleterre, où ces distinctions dans les classes laborieuses sont moins tranchées qu’en France, on trouve souvent alliées dans le même esprit les qualités objectives d’un administrateur et les vues subjectives de l’homme de science. Mais ces facultés ne se confondent pas ; les unes et les autres ont leurs heures. On peut voir, à Londres, quelques riches commerçans se livrer, dans les loisirs que leur laisse leur office, à des recherches de science pure. Nous pourrions citer des noms. Il n’est pas rare d’en rencontrer qui s’occupent d’astronomie avec passion, et qui possèdent de magnifiques instrumens d’observation.

Aux États-Unis, tout devient franchement un commerce. Si sur le continent nous avons trouvé des savans et en Angleterre des savans-inventeurs, dans le Nouveau Monde il n’y a guère que des inventeurs. Les traditions d’un peuple si jeune ne peuvent avoir de racines bien profondes, aussi ce qu’on pourrait appeler chez nous un noble préjugé n’a pas cours au-delà de l’Océan. L’idée de s’enrichir est. dans tous les esprits. Il serait malaisé d’ailleurs de modifier cette tendance, qui est la conséquence naturelle de la faiblesse de l’instruction supérieure. La science n’a pas cherché à s’ériger en aristocratie ; elle s’est épuisée dans la création d’un enseignement professionnel disproportionné. La méthode américaine est l’inverse de la nôtre. En France, en Allemagne, les écoles élémentaires sont des dépendances des grands centres d’enseignemens, elles s’échauffent aux rayons de ces derniers. Aux États-Unis, au contraire, c’est l’école qui doit arriver assez haut pour mériter le titre d’université. L’idée semble peu logique ; c’est demander à une source d’arroser un sol placé au-dessus d’elle. Il en résulte une absence complète de haute culture intellectuelle. On sait bien où il faut s’adresser pour apprendre à gagner sa vie et à la rendre plus confortable ; mais où enseigne-t-on à apprendre ? Nulle part. Les esprits les plus distingués sont fatalement conduits, et c’est un