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l’orchestre parce que les cuivres « effraient aux revues les chevaux de troupe. » Ces goûts de la reine d’Angleterre pour les beaux-arts, tous ses enfans les partagent à divers titres, et le duc d’Edimbourg a déjà pris rang parmi les bons violonistes classiques de son pays. Nous ignorons trop sur le continent cette vie musicale des hautes classes en Angleterre où l’amateur a toujours fait grande figure. En 1784 ; lors de la première « commémoration de Händel, » en présence du roi George III, Mme Joshua Bates, femme d’un très riche banquier, reçut du comité du festival la somme de 3,000 livres sterling (75,000 fr.) pour chanter trois fois, ce qu’elle fit, — ayant à côté d’elle la Mara, — avec un succès resté légendaire dans les fastes du dilettantisme britannique. J’ai rencontré là il y a quelques années des sociétés composées de jeunes gens du plus grand monde, les Wandering Minstrels par exemple, qui parcouraient la province et se faisaient entendre au profit d’œuvres de bienfaisance. Les choristes de M. Leslie ne se réclament d’aucune accointance avec le high life, ce sont tout simplement de braves gens de la petite classe moyenne qui, en temps ordinaire, vouent à la musique les loisirs gagnés par d’autres travaux et qui, par ce festival européen que notre exposition met en branle, sont venus sans marchander leur peine et leurs études, n’ayant en vue que l’amour-propre national et la plus grande gloire de leur excellent chef.

Autant chez les Anglais la discipline contribue à produire les grands effets de sonorité, autant chez le Tsigane prévaut la personnalité, une personnalité collective sans doute, puisque nous sommes en présence d’un orchestre, mais tous y vont de leur propre ardeur et c’est la force magnétique et non la règle qui conduit le bal. Faire jouer au Tsigane de la musique qui n’est point sa musique à lui, le faire jouer à toute heure et partout, c’est transformer un jaguar en chien d’aveugle. Ces nomades-là ont la grâce sauvage et la bondissante agilité du fauve avec des effusions de tendresse et de mélancolie navrantes et par-dessus tout, au plus haut degré, la musique instinctive. Prenez une bande de première force, et quand vous vous êtes mis en rapport avec elle, jouez-lui un morceau qu’elle n’ait jamais pu entendre, mais où prédomine un rythme, une mélodie bien caractérisés, vous verrez aussitôt toutes ces physionomies s’émouvoir en travail d’assimilation, puis après un instant, au signe du chef, votre morceau prendra vie et vous reviendra tout entier orchestré et lancé d’un entrain infernal. Avant de rencontrer les Tsiganes à l’exposition, nous les avions entendus à l’ambassade d’Angleterre lors de la fête donnée en l’honneur du prince de Galles et cette fois dans des conditions d’encadrement et de pittoresque bien autrement favorables.

Au milieu du brouhaha des salons et de tant de bruits civilisés