Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/688

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

siècles, on l’étudie pendant des années, des générations s’usent à compulser des textes et des traditions, et ce qu’on nous fait entendre est le dernier mot, la loi et les prophètes. Quant au goût du public, il n’a rien à voir là dedans ; si le public ne sait point apprécier ce qui est beau et grand, tant pis pour le public, il ne lui sera fait aucune concession ; libre aux autres d’entrer en coquetterie avec leur auditoire, l’artiste anglais est une sorte d’interprète juré qui ne peut s’écarter de son texte. N’oublions pas que de temps immémorial la musique marche de pair en Angleterre avec l’église et la foi. On est à l’université docteur en théologie, en droit et en musique. Avec la Bible vient l’orgue ; et le chant forme partie intégrante du culte, le chant de tout le monde, entendons-nous bien, ce qui dès les premiers jours de la réforme devait multiplier les réunions musicales et servir de point de départ à tous ces petits centres provinciaux où les œuvres de quelques illustrations nationales reparaissent perpétuellement avec une monotonie désolante. Oui, tout cela finit par être ennuyeux, assommant, je vous l’accorde, et cette continuelle absence de l’orchestre vous devient insupportable. Ces cent cinquante voix qui n’en font qu’une m’agacent à la longue par leur absolue perfection, et mon imperfection à moi réclame un signe d’individualité quelconque, fût-ce même une fausse note. C’est froid, très froid, parce que c’est impersonnel ; mais il faut avoir entendu les pianissimo des chœurs dirigés par M. Leslie pour savoir ce que c’est que cette immense voix collective. Vous diriez une gigantesque harpe éolienne ; et, chose curieuse, les qualités qui manquent aux solistes se rencontrent amplement dans l’être collectif. Les chœurs ont de l’énergie, de la rudesse, de la variété, de l’imprévu, tandis que le chanteur, lorsqu’il se manifeste isolément, vous laisse à désirer tout cela. Voix superbes pourtant et d’une égalité merveilleuse, belles surtout de leur jeunesse, de leur santé, et, comment rendre ici mon impression ? de leur contact immédiat avec la nature, fortes, pures, aérées, mais sans chaleur ; la note vient comme elle vient, elle n’est jamais saisie, elle coule, n’est jamais attaquée, et par instans on se prendrait à regretter l’affreuse maestria d’une Thérésa ou la rauque sauvagerie d’une Galli-Marié, regret malsain, je n’en disconviens pas, mais que forcément la monotonie vous inspire et que jadis exprimait si bien cet homme d’esprit qui demandait un loup parmi les moutons de Mme Deshoulières. Parlez-moi du vieux Purcell et de son cri de guerre (come il you dare) : ce chant de défi écrit vers 1680 vous en apprendra plus sur Händel et sa vraie provenance que toutes les théories philosophico-historiques du savantissime docteur Chrysander. Händel se rattache à la période cromwellienne bien autrement qu’à la Germanie natale. Ce roi Arthur est le père de Josué et des