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du chant et de la mélodie soit maintenue ; s’appuyer sur une école, avoir derrière soi des traditions, est un avantage qu’on ne déserte pas ; quelle force pour l’avenir qu’un grand passé !

L’Italie d’aujourd’hui reste fidèle au sien, tout en regardant du côté de l’Allemagne, et c’est de cet ordre d’idées que lui viendra sa renaissance musicale. Il n’en est pas moins curieux de voir la ballade de Bürger servir de thème à des compositions académiques. Aux temps de Donizetti et de Mercadante, on se contentait d’en faire des opéras dans le vieux style ; on ne veut aujourd’hui que des commentaires symphoniques, des illustrations d’un texte littéraire par la musique. Ainsi va le monde ; le centre de gravité se déplace et quitte le midi pour sauter au nord. Quand je pense qu’il y a un siècle environ des hommes comme Goethe sacrifiaient Mozart à Jomelli ! « Le souvenir est encore vivant à Stuttgart de la brillante période du duc Charles où Jomelli dirigeait l’Opéra, et ceux que ce dieu de l’harmonie ravissait d’enthousiasme n’ont que dédain pour notre musique et notre chant. » L’Allemagne à cette époque faisait bon marché d’elle-même, uniquement préoccupée qu’elle était de l’Italie ; elle avait Mozart, qu’elle trouvait « plein de rudesse, » et se prosternait devant Jomelli, « ce dieu de l’harmonie. » De nos jours, c’est tout le contraire ; ce chant, jadis l’objet de toutes les idolâtries, c’est justement ce qu’on reproche à l’Italie en lui disant : « Amendez-vous et venez chez moi vous mettre à l’école. » Et l’Italie d’accepter le rapprochement, mais en personne avisée et prudente, et tout en se promettant bien qu’il y aura concordat. C’est du moins là ce qui ressort des intéressantes études auxquelles ces concerts cosmopolites de l’exposition nous permettent de nous livrer. L’Italie ne faillira point à son passé, elle aura beau lier commerce avec l’Allemagne, on la reconnaîtra toujours à ses qualités comme à ses défauts.

Parler de ces orchestres qui nous visitent en ce moment, c’est aborder le chapitre des qualités. Commençons par l’orchestre de la Scala, le premier en date : de l’entrain, de la bravoure en même temps que la précision la plus correcte, une attaque à tout emporter, et dans le détail un art de nuancer qui vous enchante, une sûreté de jeu qui se communique à l’auditoire et double la jouissance ! La volubilité de ces professeurs dans l’ouverture du Matrimonio tient du prestige ; cette musique suave, élégante, exquise, ils ne se contentent pas de vous la dire, ils vous en donnent jusqu’au dessin, ils vous en tracent l’arabesque divine du bout de leurs archets, car, soit dit en passant, tout ce qui est beau pour l’oreille est également beau pour les yeux, et, saisie au vol par le crayon, traduite, interprétée sur le papier, une phrase de Mozart, de Cimarosa, de Bellini produira des croisemens de lignes d’un aspect charmant. Mais comme ces gens-là savent chanter !