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auquel le catholicisme n’a pas encore renoncé de nos jours. L’histoire nous apprend que la conséquence effective de cette doctrine est un despotisme qui, loin de favoriser les progrès de la moralité, de la science, de la religion même, les arrête au contraire. Le système théocratique est toujours allé contre son but : pour soutenir les intérêts de la vérité, il a toujours rendu l’erreur immobile sous le nom d’infaillibilité, comme ces politiques qui substituent le faux au vrai sous le nom de vérité officielle ; pour soutenir les intérêts de la vertu, il a toujours sacrifié la moralité véritable à la violence et à l’égoïsme des prétendus « meilleurs. »

il ne faut pas craindre de le dire, contrairement aux assertions des théologiens, l’erreur même et le vice ont des droits, et des droits civilement ou politiquement égaux à ceux d’autrui : au point de vue purement social et juridique, nous avons le droit de nous tromper et de déraisonner comme de raisonner, nous avons le droit de faillir comme de bien agir ; pour tout dire en un mot, la mauvaise volonté même n’est pas exclue de l’égalité des droits. Au reste, la mauvaise volonté n’est jamais telle que relativement ; une volonté absolument mauvaise, s’il en pouvait exister, serait celle qui trouverait son suprême bien dans le suprême mal ; or on n’aime pas le mai pour le mal, et le vice consiste seulement, comme disait Socrate, « à renverser l’ordre des biens. » Satan, cette volonté absolument mauvaise, comme Ahriman, ce dieu du mal absolu, est un fantôme de l’imagination, qui, dès que la pensée veut le saisir, s’évanouit. En tout cas, Satan n’est point sur la terre, et ce n’est pas pour lui que sont faites nos législations ; mais, fût-il présent parmi nous, il participerait lui-même à l’égalité des droits communs tant qu’il ne violerait point nos libertés propres, et sa volonté mauvaise, aussi longtemps qu’elle se renfermerait en soi sans attenter à autrui, conserverait encore son inviolabilité extérieure. Pour revenir à l’homme, la mauvaise volonté d’aujourd’hui peut être et sera sans doute la bonne volonté de demain ; nous ne pouvons donc en la concevant la concevoir comme définitivement et éternellement mauvaise, nous ne pouvons la damner dans notre pensée ni lui faire en notre cœur comme un enfer sans espérance. Elle demeure toujours, en tant que volonté, sacrée pour nous à l’égal des autres, et ses injustices extérieures tombent seules sous notre droit de légitime défense, comme y tomberaient elles-mêmes les injustices commises par une bonne volonté. Si l’inquisiteur qui vous coupe la langue et vous brûle agit pour votre bien et par bonne intention, acquiert-il des droits plus réels parce que sa volonté est bonne au lieu d’être mauvaise ? Tout ce qui est injuste est immoral, mais tout ce qui est immoral n’est pas injuste : vérité élémentaire que nos législateurs et nos politiques