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loin le tableau dans les Dialogues philosophiques de M. Renan. L’influence des théories allemandes n’a fait qu’accroître le mouvement de réaction contre l’idée d’égalité : on le sait, Hegel, Mommsen, Strauss, M. de Sybel, soutiennent, à des points de vue divers, le droit des supériorités et la « souveraineté du but ; » Strauss déclare que l’histoire continuera d’être comme par le passé « une bonne aristocrate. » C’est surtout dans l’expérience, non pas seulement dans les spéculations métaphysiques ou théologiques, que la doctrine de l’inégalité cherche de nos jours son principal point d’appui : elle invoque en sa faveur les récentes découvertes de l’histoire naturelle, les idées germaniques sur la différence des races, les idées darwiniennes sur la sélection naturelle et sur l’hérédité. De leur côté les partisans de l’égalité s’efforcent aussi d’invoquer les faits : la doctrine classique du spiritualisme fonde l’égalité humaine sur le « fait » de l’égalité du libre arbitre chez tous les hommes ; on se rappelle ce que disait Victor Cousin à ce sujet : « La liberté seule est égale à elle-même ; il n’est pas possible de concevoir de différence entre le libre arbitre d’un homme et le libre arbitre d’un autre. » Mais c’est principalement sur l’idée du droit que les écoles démocratiques s’appuient pour justifier l’égalité : Proudhon, M. Renouvier, M. Littré, la déduisent par des raisonnemens divers du principe même de la justice.

En présence d’une telle diversité d’opinions, il nous semble nécessaire de soumettre à un nouvel examen cette sorte de dogme de l’égalité humaine dont l’instinct français et la philosophie française avaient fait une des bases du droit nouveau et de la politique nouvelle. Recherchons d’abord quelle est, ici encore, la part du fait et celle du droit, la part de la réalité et celle de l’idéal, et voyons si l’école démocratique les a suffisamment distinguées. Nous examinerons ensuite les objections des écoles aristocratiques qui veulent fonder l’inégalité sur a la primauté de l’idée, » sur les « droits de la vérité, de la vertu, de la science, » en d’autres termes sur la prérogative des supériorités intellectuelles ou morales.


I

L’égalité humaine est-elle un fait, comme le soutient d’ordinaire l’école démocratique ? existe-t-il réellement entre les hommes une égalité établie par la nature, que la société doit se borner à sauvegarder ? — « La nature, dit la Déclaration des droits de l’homme tant de fois invoquée par les écoles démocratiques, la nature a fait les hommes libres et égaux en droits. » — « Les hommes, répète la Constitution du 6 septembre 1791, les hommes naissent et demeurent