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mais il était resté chrétien. Sa vertu pouvait courir plus de risques au milieu des affaires publiques, où les tentations étaient plus grandes ; il avait su pourtant y résister. Dans ses momens de sévérité, lorsqu’il souhaite se trouver coupable pour s’humilier devant Dieu, je ne vois pas qu’il se reproche autre chose que son goût pour les futilités de la littérature profane. « Jusqu’ici, dit-il avec confusion, j’ai admiré la sagesse du monde, et, tandis que je me livrais aux travaux inutiles des lettres et aux recherches coupables de la philosophie, j’étais un ignorant et un muet pour Dieu. » Voilà son crime ! J’avoue que j’ai peine à croire. qu’il ait jamais troublé bien sérieusement son âme, et que ce soit le remords de ses petits vers qui l’ait jeté dans la pénitence. Il n’y eut pas de crise dans sa vie, comme dans celle de saint Augustin, et sa conversion s’est faite peu à peu. M. Lagrange a raison de dire « qu’elle s’accomplit sans orage et par une sorte d’illumination paisible. » Quand le premier enivrement du monde fut passé, les souvenirs de sa jeunesse chrétienne se réveillèrent en lui ; ils n’eurent pas de peine à s’emparer d’une âme naturellement pieuse et douce. Sa foi, devenue plus vive, devint aussi plus exigeante. Il s’achemina, par des progrès réguliers, vers des pratiques de plus en plus sévères et finit par concevoir le désir de vivre dans la solitude. Cependant il faut bien avouer que quelques événemens qui se passèrent alors durent aider à sa vocation. A la mort de Gratien, sous l’usurpateur Maxime, il paraît qu’il fut menacé de perdre sa fortune ; ses jours même, à ce qu’il semble, furent en péril. Comme il aimait avant tout le repos, et qu’il n’était pas d’un tempérament à braver les tempêtes, ce danger qu’il venait de courir suffit pour lui donner le dégoût de la vie publique. Vers le même temps, il s’était marié à une Espagnole, Thérasia, qui prit sur lui beaucoup d’empire et en usa pour le tourner vers la dévotion. Peut-être cette influence intérieure, qui s’exerçait sans bruit et sans relâche, sous les formes les plus douces et les plus séduisantes, a-t-elle plus contribué que tout le reste aux résolutions qu’il a prises.

Le premier acte de sa conversion fut de quitter les environs de Bordeaux, où il sentait qu’il avait trop d’attaches, et de s’établir en Espagne. Dans ce pays, où il était moins connu et plus dégagé de son passé, il pouvait plus librement commencer une vie nouvelle. Là il éprouva une grande joie, bientôt suivie d’une très vive douleur. Un enfant, très attendu, fort souhaité, qui lui était né après quelques années de mariage, ne vécut que quelques jours. Cette