Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/637

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sapinière tachetée de soleil. Le sapin du premier plan est un chef-d’œuvre. La grande règle est de faire ce qu’on voit et ce qu’on aime ; M. Lindholm a vu son sapin et il l’a aimé ? aussi a-t-il étudié en conscience l’histoire de chacune de ses branches depuis le commencement jusqu’à la fin, et cependant le détail se fond dans l’ensemble, la branche n’empêche pas de voir l’arbre, l’arbre n’empêche pas de voir la forêt. Ce sapin finlandais est tout à fait persuasif, et nous sommes convaincu qu’il y a dans M. Lindholm l’étoffe d’un excellent paysagiste.

Il semble qu’il m’y ait pas dans le monde deux nations plus différentes que la despotique Russie et que la libre république des États-Unis. Néanmoins ces deux pays se ressemblent par plus d’un endroit, et tout d’abord par la haine jalouse qu’ils ressentent à l’égal l’un de l’autre pour John Bull ; voilà pourquoi l’aigle à deux têtes et le drapeau étoile ont depuis longtemps fait amitié et contracté alliance ; le meilleur ciment qu’on ait inventé pour lier les nations comme les individus est une bonne haine commune. L’empire moscovite et les États-Unis ont aussi ce rapport que ce sont des peuples pionniers, perlant dans la politique l’esprit d’aventure, l’un avec plus d’astuce, l’autre avec plus de désinvolture, ce qui a fait dire à quelqu’un qui n’aime pas la Russie que le Russe est un Byzantin doublé d’un Yankee. Russes et Américains s’entendent encore pour mépriser profondément le vieux inonde, qui se meurt de consomption ou de décrépitude ; ils se croient appelés à rajeunir la civilisation, à lui infuser un sang nouveau. Peut-être se piquent-ils aussi de rajeunir les beaux-arts, dans lesquels ils commeracent à s’exercer. Il est possible que ces apprentis deviennent maîtres et qu’ils nous donnent un jour des leçons, c’est le secret de l’avenir.

Le premier point est d’avoir du caractère. Malgré ses défauts, la peinture russe en a, la peinture américaine en a peu, si nous en jugeons du moins par les échantillons rassemblés au Champ de Mars. Quand on vient de visiter la section russe, on emporte dans ses yeux des visions de steppes et des figures de moujiks. La section américaine nous apprend peu de chose sur les États-Unis et ne renferme qu’un petit nombre d’œuvres qui aient une physionomie originale. Il en est quelques-unes à la vérité qu’on peut qualifier d’excentriques ; mais original et excentrique, ce n’est pas la même chose. De quel côté de l’Océan M. Hamilton a-t-il rencontré cette grosse fille délurée qui, se renversant dans son fauteuil jaune, les mains croisées autour de ses genoux, une cigarette entre ses doigts, rit à gorge déployée et montre sa jambe à son perroquet ? Il y a beaucoup de talent dans cet ouvrage de mauvais goût ; mais à qui ce talent pourrait-il plaire ? Il est trop léger pour New-York,