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Peignez des hommes, des anges ou des bêtes, des césars ou des paysans, la sainte Trinité ou des pâtis et des moutons, quelle que soit la dimension de votre toile, vous ferez grand si vous possédez les trois vertus théologales, la foi, l’amour et l’espérance. Il faut croire à son sujet ; il faut l’aimer passionnément, il faut ressentir en travaillant cette joie particulière qui accompagne les longs espoirs et les vastes pensées. L’essentiel est d’être assez convaincu pour convaincre les autres. Quand M. Cederström a peint son Charles XII, il était convaincu. Nous doutons que M. Siemiradski ait peint avec conviction les Torches vivantes de Néron, le plus grand tableau de la section russe, l’un des plus grands de toute l’exposition. Les Torches vivantes eurent beaucoup de succès à Rome, où elles furent exposées, croyons-nous, pour la première fois ; le jury des beaux-arts a confirmé la sentence des premiers juges en décernant une médaille d’honneur à M. Siemiradski. Le peintre polonais a pris son sujet dans Tacite : — « Après l’incendie de Rome, raconte l’historien latin, on commença par se saisir de ceux qui s’avouaient chrétiens et ensuite, sur leur déposition, d’une multitude immense, qui fut reconnue coupable moins d’avoir incendié Rome que de haïr le genre humain. A leur supplice on ajoutait la dérision ; on les attachait en croix, ou l’on enduisait leur corps de résine, et on s’en servait la nuit comme de flambeaux pour s’éclairer, in usum nocturni luminis. Néron avait cédé ses propres jardins pour ce spectacle ; aussi, quoique criminels et dignes des derniers supplices, on se sentit ému de compassion pour ces victimes, qui semblaient immolées moins au salut de l’état qu’au féroce caprice d’un homme. » Dans le tableau de M. Siemiradski, l’architecture est excellente, habilement traitée ; mais la perspective laisse beaucoup à désirer. Cette immense toile est plate comme la main ; la foule qui grouille sur le premier plan doit étouffer, la place lui manque et l’air aussi. Ce qui nous chagrine encore plus, c’est que cette foule paraît s’intéresser fort peu au spectacle étrange qu’on lui sert. Hommes, femmes, enfans, sénateurs et gens de rien, les uns habillés, les autres nus ou demi-nus, regardent voler les mouches ; ils ont un air de distraction, de désœuvrement et de profonde indifférence ; il n’y a pas dans cette nombreuse assistance une seule tête qui ait de la physionomie. Néron, qui tient un léopard en laisse et dont la litière est précédée de quatre esclaves noirs, paraît ennuyé de lui-même et des autres autant que le saint Louis de M. Cabanel fondant les Quinze-vingts et la Sorbonne. Quant aux malheureux chrétiens, ridiculement emmaillottés et perchés sur de hauts poteaux, ils semblent beaucoup moins préoccupés de l’affreux supplice qui les attend que du rôle piteux qu’on leur fait