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Misericordia e giustizia gli sdegna ;
Non ragioniam di lor, ma guarda e passa.


M. Arbo nous montre ses tristes cavaliers montés sur des coursiers noirs et galopant entre ciel et terre au clair de la lune. Il y a de la fougue dans cette composition ; mais hommes et chevaux, cette cavalcade fantastique forme une masse confuse, où nous distinguons à grand’peine quelques figures dans le tas, et nous en voulons au peintre de ne pas nous faire voir ce qu’il nous montre. Si M. Arbo a négligé d’allumer sa lanterne, on trouve en revanche dans la section norvégienne des couchers de soleil si éblouissans qu’on ne peut les contempler sans cligner les yeux. C’est peut-être vrai, mais nous en doutons ; la nature n’aime pas les pétards. À ce grand tapage de couleurs criardes, heurtées et violentes nous préférons le Paysage d’hiver de M. Munthe, où nous voyons un hameau de pêcheurs au bord de la mer. La terre est blanche, le ciel est noir, la mer est grise ; mais les pêcheurs ne s’occupent que de déballer leurs poissons. Nous sommes persuadé qu’ils adorent leur pays et qu’ils seraient très malheureux si on les transportait sur les rivages de la baie de Naples. L’habitude est la puissance qui gouverne ce monde, et il faut louer les peintres qui peignent des habitudes.

On trouve en Suède aussi d’intéressans paysages. Il est inutile d’appeler l’attention sur les belles marines de M. Wahlberg. Tout le monde connaît, pour les avoir vus au salon, ses clairs de lune, ses golfes, ses ports, ses ciels brouillés, ses vagues clapoteuses ou dormantes. M. Wahlberg cherche l’effet et il l’obtient ; mais on s’aperçoit qu’il le cherche. Il n’y a rien de cherché dans le très beau paysage de M. Lindström ; c’est un canal bordé de bouleaux à I’é-corce argentée, au feuillage léger, jauni par l’automne. L’eau est transparente, les arbres sont du dessin le plus étudié et le plus fin, l’air circule entre leurs branches, le tableau s’enfonce bien, on s’y promène avec plaisir et on y respire à l’aise.

Nous avons hâte d’arriver au morceau capital de l’exposition suédoise. M. le baron Gederström nous montre le corps de Charles XII transporté par ses officiers à travers la frontière norvégienne. Le vainqueur de Narva, le vaincu de Pultava a été frappé d’une balle à la tempe devant les retranchemens de Frederikshall. On le ramène à Stockholm sur une civière, que portent péniblement huit officiers de sa garde, vêtus d’un uniforme bleu sombre, dont l’un, blessé à la tête, a le front enveloppé d’un bandeau. Leur fardeau est lourd ; le maître, qui de son vivant les harassait par ses perpétuelles entreprises, continue après sa mort à peser lourdement sur leurs épaules. Ils ont l’air moins triste que soucieux ; ils songent à leur épaule meurtrie et aux incertitudes de