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ne s’est pas rattrapé sur la qualité. Ce sont pour la plupart des œuvres lourdes, pataudes, d’une exécution molle et paresseuse. On a dit que la langue portugaise était de l’espagnol désossé ; le Portugal a envoyé au Champ de Mars de la peinture désossée.

Le royaume hellénique a été logé dans la même salle que le Portugal ; nous ne les séparerons point, quoiqu’il soit étrange de compter la Grèce parmi les pays dont la peinture n’a point de passé. Un savant et ingénieux Allemand, M. Fallmerayer, s’est efforcé de démontrer que les Hellènes modernes ne descendent pas des héros de Marathon, qu’un autre sang coule dans leurs veines, que ce sont des Slaves qui parlent grec. Peu s’en est fallu qu’il ne payât de sa vie cet audacieux paradoxe, qu’on a réfuté plus d’une fois ; mais les Grecs sont intéressés eux-mêmes à ne pas se considérer comme solidaires d’un passé dont la gloire est écrasante. Entre l’Athènes du roi George et l’Athènes de Périclès il n’y a rien de commun que des ruines immortelles, qu’il faut admirer à genoux, en se gardant de les copier. Quand cessera-t-on de jeter à la tête des nouveaux Athéniens les grands noms de Phidias, de Zeuxis, de Sophocle et de Platon ? Ils ont eu le bon esprit d’imiter ce petit bourgeois qui se trouvait être le fils naturel d’un doge de Gênes et à qui son père légua un superbe palais de marbre, qu’il n’osa pas habiter ; il construisit en face une jolie maisonnette en moellons, où il s’installa, et il montrait le palais de marbre aux étrangers. La Grèce contemporaine n’a point de Thucydide, elle ne laisse pas d’avoir des historiens de mérite ; elle n’a pas de Sophocle, mais elle a des chants populaires pleins de grâce, de fraîcheur et d’esprit. Plût au ciel que sa peinture valût ses chansons ! Il y a commencement à tout.

La Grèce est représentée au Champ de Mars par un imitateur de M. Gérôme, par un impressionniste, que M. Manet empêche de dormir, et par un peintre de genre d’un vrai mérite. L’imitateur de M. Gérôme, M. Rallis, n’est pas sans talent ; il a beaucoup appris de son maître, mais il ne l’a pas dégorgé ; il le copie trop visiblement. L’impressionniste, M. Périclès Pantazis, est plutôt, pour parler la langue des spirituels auteurs de la Cigale, un simple intentionniste, et ses intentions sont tantôt bonnes et tantôt mauvaises. Son défaut le plus grave est que sa peinture manque de gaîté, elle est lugubre. Il a exposé un nombre assez considérable de tableaux, des figures, des natures mortes, des paysages, des scènes de printemps et d’automne, les brouillards des mers du nord. Ce qu’il a peint le mieux, c’est le brouillard ; il n’a pas eu besoin, comme le peintre intentionniste de la Cigale, de fourrer un couteau dans son cadre ; on comprend tout de suite qu’il s’agit d’un brouillard à couper par tranches. Le peintre de genre est M. Nikiforos Lytcras,