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avoir sa majesté, rien n’est moins supportable qu’une divinité bellâtre et insipide. Sans doute ces Vierges ont d’estimables qualités, elles sont l’ouvrage d’un habile homme, qui sait son métier ; mais il y en a trop, il suffisait d’en admettre une à titre d’échantillon. On pourrait citer bien d’autres tableaux qui n’ajoutent rien à l’éclat de la section française. Il est regrettable qu’on n’ait pas écarté cette bourre, qu’on ait introduit dans le tabernacle une centaine de toiles honnêtement médiocres et quelques autres médiocrement honnêtes. Il est regrettable aussi qu’on ait permis à de froides peintures, dont les dimensions sont exorbitantes, de s’étaler à leur aise, de couvrir des murailles entières. Bien qu’il fît brûler par un fer rouge la langue des blasphémateurs, saint Louis fut un saint homme de roi, qui mérite de tenir une grande place dans l’histoire ; mais on ne peut s’empêcher de penser qu’il en tient trop au Champ de Mars.

Si l’on trouve dans la section française beaucoup de tableaux qu’on n’avait garde d’y chercher, on a le regret d’y chercher en vain d’autres tableaux qu’on serait heureux d’y trouver. Le jury a-t-il eu peur que la mariée ne fût trop belle ? Un certain nombre de morts, dont la France fait gloire, avaient leur droit d’entrée, on les a tenus rigoureusement à l’écart. A vrai dire, on a laissé entrer Corot, cet artiste au cœur tendre, qui aimait la nature en amoureux et qui savait mieux que personne mettre de l’air dans un tableau, donner de la profondeur à une toile. Henri Regnault a trouvé, comme Corot, grâce devant le jury ; mais on a eu soin jusqu’à ces derniers jours de disperser ses peintures ; craignait-on en les groupant de faire de la peine à quelqu’un, qui s’en serait trouvé diminué ? Vaine précaution ; le portrait équestre du général Prim fait événement dans la salle où on l’a placé ; mais où est la Salomé, l’incomparable Salomé ? Il est vrai qu’on l’a demandée et qu’on s’est heurté contre un obstiné refus. Moins heureux que Corot et Regnault, Rousseau, le plus savant des paysagistes, l’inventeur du paysage moderne, l’un des grands maîtres de ce siècle, a été laissé à la porte. On a exclu Millet, ce génie si naïf, si vrai, si robuste, si puissant, qui avait le secret de donner aux scènes les plus ordinaires de la vie des champs de la grandeur et du mystère. On a exclu Fromentin, cet artiste fin, délicat et nerveux, ce peintre doublé d’un écrivain, dont les talens divers s’entr’aidaient et qui nous a laissé quelques-uns des livres les plus colorés, quelques-uns des tableaux les mieux écrits de ce temps.

A quel motif faut-il attribuer ces fâcheuses proscriptions ? Les jurés ont-ils pensé qu’ils suffisaient à la gloire de leur pays ? Se sont-ils dit : Nous seuls, et c’est assez ? Ou bien croirons-nous qu’ils ont redouté des comparaisons dangereuses, que certains