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LA RELIGION DANS ARISTOPHANE.

Dès le début, sa pensée est parfaitement claire. « Moi, Dionysos, fils de Stamnion (la cruche à vin), » dit fièrement ce dieu de comédie, et il paraît accoutré de façon à former un composé grotesque d’Hercule et de Bacchus. Avec la peau de lion et la massue, il porte une robe jaune et des cothurnes de femme. Voilà celui qui va renouveler le plus hardi des exploits d’Hercule. Le contraste qui existe entre les différentes parties de son costume est comme l’image sensible de l’idée comique, de l’opposition entre les périls présumés d’une pareille entreprise et la faiblesse pusillanime du personnage qu’en a chargé la fantaisie du poète. Avec quelle abondance de verve et quelle audace bouffonne se développe cette idée, c’est ce que la lecture de la pièce seule peut faire sentir. Les inventions burlesques, les parodies de toute sorte, les traits de satire, les saillies imprévues, les jeux de scène ne cessent pas un instant d’égayer ce merveilleux infernal dont la réalité terrestre fait presque tous les frais. Sous cet appareil mythologique se distinguent très nettement les traits d’un petit bourgeois d’Athènes, non des plus honorables, sensuel, jovial et peureux.

Il est en voyage, et un esclave l’accompagne, portant les bagages et porté lui-même par un âne, ce qui fait, lui dit-on, qu’il ne porte rien. Cet esclave, substitué avec intention au compagnon habituel de Bacchus, au vieux Silène, est peu respectueux pour son maître ; il le traite de pair à compagnon, il s’amuse des terreurs qu’il lui cause en évoquant des monstres imaginaires. Et cette poltronnerie, poussée jusqu’aux dernières limites, paraît d’autant plus ridicule que c’est celle d’un poltron fanfaron, qui, pour abuser les autres et lui-même, s’est déguisé en héros et a revêtu une armure formidable. Déguisement malheureux, car, si parfois il cause des illusions flatteuses pour son amour-propre, le plus souvent il lui occasionne, à la porte des hôtelleries et ailleurs, de sérieux embarras, et jusque dans la maison où il va, il se fait prendre d’abord pour le brigand qui a volé autrefois le chien du logis. En pareil cas, l’unique ressource du malheureux voyageur est de transporter sur les épaules de son esclave ce dangereux attirail, sauf à le reprendre lorsque le péril est passé ou que paraît s’offrir une perspective agréable. À la fin, bien entendu, l’esclave se fatigue de cet échange de costumes si désavantageux pour lui-même et s’obstine à garder le rôle de maître au bon moment.

Au milieu de ces mésaventures vulgaires et de ces bouffonneries, auxquelles des traits de nature spirituellement saisis donnent le degré de vérité qu’elles comportent, on se représente l’effet que produisent les noms redoutables de Cerbère, d’Éaque, de Pluton, de Proserpine, de l’Achéron. C’est l’idée comique reprise de nos jours