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des aventures de leurs dieux : entre autres témoignages, les peintures des vases en font foi. Un artiste s’amusera sans scrupule à placer dans une pompe bachique Vulcain ivre sur un âne. Un autre ne craindra pas de faire grimper à l’échelle Jupiter en bonne fortune et de lui donner pour porte-falot un Mercure ventru, véritable esclave de comédie. Ces plaisanteries sont la monnaie courante de la mythologie populaire et ne tirent pas à conséquence.

Ce genre de licence est donc autorisé en Grèce par une très ancienne tradition, qui s’est fidèlement conservée dans les mœurs. Comment la comédie l’aurait-elle exclu de son domaine ? Ce merveilleux bouffon convenait parfaitement à sa nature primitive, à ce mélange de religion naturaliste et d’ivresse railleuse qui suscita ses premiers essais. Aussi les dieux paraissent-ils sur la scène comique, aussitôt qu’elle a reçu une organisation régulière, et ils y tiennent d’autant plus de place qu’à ce moment, sous le gouvernement des tyrans de Syracuse, la satire politique, qui bientôt l’envahira tout entière, n’y a pas accès. La comédie d’Épicharme, le prédécesseur des comiques athéniens, est en grande partie mythologique ; elle a pour personnages des dieux et des héros, et il faut voir comme elle en use avec eux. La formidable gloutonnerie de l’Olympe en liesse dépeuple les mers, et Neptune, son pourvoyeur, quitte le trident pour les filets. On apporte deux énormes poissons : aussitôt Jupiter se les adjuge ; il en dévore un, et garde l’autre pour le partager avec Junon à l’exclusion des autres dieux. Minerve, la chaste déesse, se transforme en joueuse de flûte ; Castor et Pollux, en danseurs. Telle est, dans la mieux connue de ses pièces, les Muses ou les Noces d’Hébé, la mythologie d’Épicharme, le prince des comiques au jugement de Platon, le pythagoricien qui portait sur la scène les enseignemens les plus graves et les plus élevés. Après de pareils exemples et de pareils contrastes, il n’y a guère lieu de s’étonner des audaces irréligieuses d’Aristophane.

On l’a fait cependant, et des critiques de valeur en ont cherché des explications inutiles. Bœttiger par exemple, dans une dissertation déjà ancienne sur ce sujet qu’on peut encore consulter avec fruit, les attribue pour une bonne part à la parodie des tragiques, très habituelle en effet à la comédie. Il rejette d’ailleurs avec raison, après La Harpe, une distinction fausse du père Brumoy entre « une religion poétique et une religion réelle, une religion de théâtre et une religion de pratique. » Toute autre distinction analogue ne serait pas plus vraie. En réalité, l’Olympe tout entier, tel qu’il paraît dans les chants des poètes et dans les cérémonies religieuses, sans distinctions ni catégories d’aucune sorte, est livré à la comédie ; les grands dieux comme les petits, les nationaux comme les