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France, c’est encore un saint français ; l’histoire de sa vie et l’étude de ses œuvres ne permettent pas d’en douter.

Pontius Meropius Paulinus appartenait à une famille très ancienne et fort riche, qui avait des biens un peu partout ; il comptait des sénateurs et des consulaires parmi ses aïeux. Son père, ancien préfet des Gaules, était venu se fixer à Bordeaux où son fils naquit vers 353, sous le règne de Constance. M. Lagrange conjecture avec assez de vraisemblance que cette famille était chrétienne depuis quelque temps ; le jeune Paulin ne reçut pourtant pas le baptême dès ses premières années : c’était l’usage alors de le différer ; mais il dut être élevé dans les principes de la religion nouvelle. L’événement le plus important de sa jeunesse, c’est qu’il étudia dans les écoles de Bordeaux et qu’il eut Ausone pour professeur.

On n’est guère disposé aujourd’hui à l’en féliciter ; Ausone ne jouit pas d’une bonne renommée parmi nous, et l’on est en général très sévère pour l’éducation qui se donnait alors dans les écoles. Il n’est pas inutile de la connaître pour savoir quelle influence elle put exercer sur l’esprit du jeune Paulin. M. Lagrange s’est contenté de le dire en quelques mots ; je crois que la question mérite un examen plus sérieux. On sait que la république romaine avait eu peu de souci de l’enseignement public ; Polybe et Cicéron s’en étonnent et le lui reprochent. C’est l’empire qui créa dans les principales villes ces sortes d’universités où l’on donnait tout ensemble ce que nous appelons l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. L’élève passait d’abord quelques années chez le grammairien qui lui enseignait à lire et à comprendre les poètes, à connaître l’histoire du passé et les élémens des sciences, à acquérir enfin une sorte d’érudition générale en vue de la rhétorique qui achevait l’éducation. Le rhéteur venait ensuite, qui gardait les jeunes gens de quinze à vingt ans et leur apprenait à faire de beaux discours sur des sujets imaginaires. C’étaient ordinairement de grands personnages que ces professeurs de rhétorique ; Ausone nous dit qu’ils faisaient de beaux mariages et qu’ils avaient un grand train de maison. Ils obtenaient aussi très souvent des dignités politiques. Une partie des gouverneurs de province, des préfets du prétoire, quelquefois les ministres de l’empereur étaient tirés des universités. On vit même des rhéteurs arriver à l’empire sans qu’on en fût trop surpris. Jamais peut-être la littérature n’avait conduit à de si brillantes fortunes. Cette société l’aimait avec passion ; elle était fière d’encourager les études et d’honorer les lettrés. Les codes à cette époque sont remplis de lois qui instituent des écoles nouvelles ou leur accordent des privilèges. Un empereur reconnaît hautement « qu’il n’a pas de plus grand devoir que de cultiver dans les jeunes gens ces qualités que la fortune ne peut ni donner ni prendre. » Au milieu de la misère