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de danses et de chants, de convives échauffés par le vin, et Bacchus recevait le surnom de Cômastès. C’est donc au cômos phallique, probablement dans des fêtes de la campagne se rapportant à la vendange ou au vin, que la comédie a dû sa première origine. C’est là qu’elle improvisa ses premiers essais au milieu de mascarades turbulentes et obscènes, dans l’impudente expansion d’une verve bouffonne et licencieuse.

C’est assurément la marque la plus éclatante de la puissance de l’art athénien que de ce débordement de grossière licence soient sorties des œuvres dignes de figurer avec honneur au siècle de Périclès. Seulement les effets de cet art ne se peuvent saisir que si l’on se souvient des conditions originelles de la comédie, du caractère que lui imprima, en la créant, le dieu dont elle ornait les solennités. Alors s’expliquent mieux cette irrégularité apparente, ces interruptions du drame par des sarcasmes et des personnalités, ces grossièretés jetées au peuple à pleines mains, ce mouvement tumultueux, cette ivresse qui se répand en fantaisies de toute sorte, bestiales ou éthérées, et, dans le nombre, ces chants suaves et purs qui tout à coup s’élancent de l’orgie par un caprice de l’imagination exaltée, forme la plus charmante de la liberté qu’en ces jours d’indulgence le dieu accorde à ses adorateurs.

Cet assemblage d’élémens était fait pour troubler les idées de notre critique française. Aussi lui a-t-il fallu du temps pour s’y habituer. Aujourd’hui on commence à être plus convaincu qu’il faut comprendre avant de juger, que certaines œuvres de l’antiquité demandent absolument à être replacées dans leur milieu naturel, au lieu d’être pliées de force à nos habitudes et à nos règles. On est donc plus en état d’apprécier Aristophane. Du moins ne se refuse-t-on pas aux impressions multiples qu’il fait naître, et les rend-on parfois avec une spirituelle vivacité ; témoin le livre réédité dernièrement par M. Deschanel, qui a le double mérite d’écrire légèrement sur Aristophane et de le goûter. Vers le même temps, dans un autre ouvrage[1], on établissait entre Rabelais et le poète grec une comparaison que l’auteur avait le bon goût de maintenir dans ses justes limites. Aristophane offre, en effet, de l’analogie avec Rabelais ; il a sa verve étourdissante, sa richesse d’invention, son intarissable gaîté. C’est, si l’on veut, un Rabelais grec ; moins profond, à la fois plus cynique et plus délicat, animé encore par le mouvement dramatique, vif, précis, affiné et allégé par l’élégance et la grâce de la muse athénienne. Nous sommes encore loin de le bien connaître ; on ne pénètre pas facilement dans le secret

  1. Rabelais, la Renaissance et la Réforme, par Émile Gebhart.