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mais celles de l’ancien quartier officiel sont laissées dans une inquiétante obscurité. Le chemin de fer va de Yédo à Yokohama, de Hiogo à Kioto ; mais les principaux centres ne sont réunis que par des voies non carrossables, et les voyages se font à pied, à cheval, en kango, tout au plus en djinriksha. Le pétrole est loin d’avoir encore détrôné l’ancienne bougie à mèche de papier ; et, si les fonctionnaires portent des bottines, des chapeaux et des redingotes à l’avant-dernière mode, les petits bourgeois, marchands et gens du peuple s’en tiennent à la robe de soie. Quelques anciens daïmios bien rentes se font, il est vrai, construire des maisons qu’ils croient être d’architecture européenne ; on voit même s’élever à Yédo toute une rue rappelant la rue de Rivoli, avec arcades et terrasses, mais elle ressemble à ces villes imaginaires que Potemkin faisait surgir par enchantement sur la route de son impériale maîtresse ; quand on avance au-delà, on retrouve la vieille construction de keyaki et de bambou, beaucoup plus élégante d’ailleurs que ces essais malheureux. Ainsi du reste. Agriculture, métallurgie, mines, arsenaux, marine, sériculture, chaque branche de l’industrie humaine a, pour ainsi dire, au Japon deux modes de développement, l’un indigène qui persiste, l’autre exotique en voie d’acclimatation.

Lequel de ces deux aspects devait présenter l’exhibition japonaise ? — Se borner à l’ancien était faire un acte de difficile humilité. Ne montrer que des procédés primitifs (tout ingénieux et délicats qu’ils puissent être), quand on a appris, avec une dextérité justement admirée des ingénieurs, à manier les nouveaux ; exposer le chariot à bœufs quand on a les wagons, la jonque à proue recourbée quand on possède des cuirassés, des lampes à huile quand on s’éclaire au gaz, c’eût été trahir la vérité par un excès d’abnégation. Mais d’autre part tout ce qui représente au Japon la civilisation nouvelle porte si manifestement l’estampille européenne qu’il était impossible, sans s’exposer au reproche de plagiat, de renvoyer en Europe, comme indices de la culture nationale, ce qu’on lui avait emprunté la veille. — La colonie agricole de Yéso se sert de herses mécaniques, de charrues perfectionnées, et possède une scierie à vapeur ; mais les colons sont des ingénieurs américains, et les machines viennent de New-York. Une usine métallurgique, construite par un Français, a reçu un matériel hollandais. Les mines sont explorées par des Allemands ou des Américains. Celle d’Ikouno possède plus de bassins qu’aucun placer californien : c’est un ingénieur français qui l’exploite, une usine française qui lui fournit son outillage. L’arsenal de Iokoska construit des canonnières : haut personnel et matériel sont français. Tout ce qui ressortit aux travaux publics et à la marine, hommes et choses, est anglais. Partout où l’adoption des procédés modernes a nécessité l’emploi des machines, dans les