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l’imagination des peintres. Ce n’est pas à eux qu’il faut s’en prendre de la laideur grimaçante de leurs modèles : elle est de tradition ; mais, à ne juger que le fini du travail, comparez ces petits brûle-parfums d’un galbe si plein, si ramassé, aux grands vases allongés d’aujourd’hui, ces fleurs aux calices dorés, aux couleurs brillantes et si bien assorties, jetées en gerbes élégantes, sans monotonie comme sans désordre, avec le dessin incorrect et tourmenté, les couleurs épaisses du nouveau satzuma, et surtout la légèreté de pâte et la perfection des anciens vases avec les. inégalités des modernes, et leur pesanteur presque sensible à l’œil, vous mesurerez ainsi toute la distance qui sépare l’ancienne céramique de la nouvelle, l’une raffinée dans ses procédés et modeste dans ses prétentions, l’autre dissipant ses moyens et ses efforts en témérités ambitieuses. Qu’ils traitent la porcelaine ou le bronze, les Japonais sont des décorateurs de premier ordre tant qu’ils n’attaquent d’autres motifs que les végétaux, les oiseaux, les poissons et les insectes. Aussi s’en tenaient-ils là jadis, à part quelques figures hiératiques de dieux. Depuis qu’ils se sont mis en tête de sculpter des bas-reliefs entiers sur leurs vases et de peindre des tableaux complets sur leurs plats, ils ont cessé d’être eux-mêmes et sont entrés dans une période de décadence et de tâtonnemens.

Les émaux cloisonnés tiennent peu de place dans l’exposition du Japon. Les uns, d’un vert sombre et un peu triste, viennent de la province d’Owari, et sont d’un prix inférieur. Une paire de cornets du plus grand modèle vaut de 500 à 600 francs. Les autres, sur fond bleu, venus de Yokohama, se fabriquent à l’imitation de la Chine. On en voit aussi quelques échantillons sur un fond blanc terne. Le travail de ces deux dernières espèces est soigné ; le gabarit est bien choisi ; sans le voisinage des Chinois, ils feraient une excellente figure, mais les couleurs en paraissent bien amorties à côté des tons splendides qui brillent sur les grands paravens, les tables, les dames-jeannes de la Chine.


III

Un œil exercé reconnaît aisément au nombre des laques les rares épaves de l’industrie ancienne qui se sont glissées dans l’envoi de 1878, après avoir passé du palais d’un daïmio dans la boutique d’un marchand d’Osaka ou d’Yédo. Quelques beaux cabinets aux formes simples méritent d’être cités hors pair. Le regard se repose avec délices après tant d’éblouissemens sur leurs surfaces polies que la main voudrait caresser. Tantôt sur un fond noir se détache un dessin net et léger tracé par un pinceau trempé dans l’or mat, tantôt sur un champ peau de poire (nashidji), s’étale un paysage avec