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une surprise, trouve généralement trop de forces, trop de retranchemens devant elle. Et quelle étrange prétention ce serait de vouloir surprendre, alors qu’il faut hisser chaque cheval l’un après l’autre au bout de vergue, le déposer dans un lourd chaland et conduire ce chaland au rivage ; qu’il faut sortir, de deux ou trois panneaux au plus par navire, l’artillerie et les munitions rangées à fond de cale ! L’infanterie cause moins d’embarras ; néanmoins les embarcations, les chalands dans lesquels on l’entasse affronteraient difficilement un débarquement de vive force.

Qui ne transporte pas aujourd’hui 40,000 hommes ne transporte rien. Il n’entrera probablement jamais dans la pensée d’une puissance quelconque, si animée à la lutte qu’on la suppose, de faire renaître au XIXe siècle les traditions de la piraterie. La belle Julie de Gonzague pourrait dormir en paix à Fondi, quand bien même toutes les flottilles du monde croiseraient sur les côtes de la Méditerranée. Les seules opérations possibles de nos jours sont des opérations sérieuses, régulières, telles qu’en comporte la guerre civilisée. Un corps d’armée complet avec ses chevaux, son artillerie et ses vivres, c’est le moins que les faiseurs de projets, — et je ne veux pas me placer dans leurs rangs, — pourraient se permettre de demander. Dans les prévisions du premier consul, 500 chaloupes, 400 bateaux, 300 péniches devaient embarquer « 120,000 hommes, les munitions indispensables pour les premiers combats, des vivres pour une vingtaine de jours, l’artillerie de campagne, avec attelage de deux chevaux par pièce. » De tout ce plan si bien conçu, les marines de premier ordre, — il y en a maintenant quatre ou cinq en Europe, — ne garderaient probablement que le programme. Elles ont à leur disposition d’autres moyens que ceux qui en 1805 pouvaient être mis en œuvre. Il n’est pas bien certain pourtant qu’elles voulussent écarter d’une façon absolue l’emploi des bâtimens à rames, a Ces péniches de 60 pieds de long, qui pouvaient recevoir de 60 à 70 soldats, outre 2 ou 3 marins pour les diriger, qui ne tiraient que 2 ou 3 pieds d’eau et se garnissaient au besoin d’une trentaine d’avirons, » paraîtraient probablement le complément obligé de la chaloupe à vapeur. La flottille, telle que je la conçois, n’est guère plus hardie que la flotte de César. Ce n’est pas une bande d’oiseaux de grand vol ; elle a soin de tenir toujours la terre sous son écoute. Je ne lui conseillerai jamais d’oublier le sort des vaisseaux de Germanicus. Astreinte à la plus extrême prudence, elle peut se donner par contre des licences de construction interdites aux transports qui bravent la haute mer. Les chevaux n’en doivent pas sortir par la vergue, mais par la porte, comme au temps du sire de Joinville. L’hippogoge moderne est encore à trouver. Le jour où le rivage sera aussi accessible aux chevaux qu’aux soldats,