Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/557

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

populations asiatiques un sort bien digne d’envie, et la monarchie universelle à laquelle tendait Xerxès, si elle eût été un joug pour la Grèce, eût du moins été pour l’Asie un bienfait. Après la destruction de la grande armada, les Anglais proclamèrent avec ironie que Dieu s’était fait, lui aussi, luthérien. Dieu nous juge, il ne prend point parti dans nos querelles ; ce serait y peser d’un trop grand poids. Ce qui semble toutefois apparaître à la lueur vacillante de l’histoire, c’est la volonté bien arrêtée du Créateur de donner toujours en fin de compte gain de cause à la civilisation.

Comme un ouvrier qui se complaît dans son œuvre, Dieu brise l’une après l’autre les ébauches imparfaites ; sa prédilection n’est acquise qu’à ce qui peut honorer le limon sorti de ses mains. D’où vient, s’il en est ainsi, que la race grecque n’ait pas fini par gouverner le monde ? Race plus heureusement douée, plus parée de tous les dons du corps et de l’esprit fit-elle jamais son apparition sur notre planète ? Les Romains n’ont presque rien ajouté à l’héritage qu’ils avaient reçu des colonies helléniques. C’est une nation lourde et brutale dont le génie propre paraît aussi court que le glaive dont elle se servait dans les combats. Et cependant le forum a triomphé de l’agora, l’épée du légionnaire a eu raison de la lance dorienne. C’est que le sénat de Rome représente la constance dans les vues, la fermeté inflexible dans les revers. Athènes si chère aux esprits délicats, Athènes la mère de tous les beaux-arts, Athènes qui a connu tous les genres de gloire et tous les héroïsmes, nous offre au contraire l’image saisissante de la mobilité. Le sénat romain remercie Varron de n’avoir pas désespéré, après Cannes, du salut du pays ; le peuple athénien exile ou immole ses généraux vainqueurs. Il n’épargne même pas les philosophes. Nos pères avaient imaginé une belle devise : « Aux grands hommes la patrie reconnaissante. » Athènes en pratiquait une autre ; elle avait fait de l’ingratitude la première vertu de sa république.

Il restait un dernier coup à porter aux Perses. Ce coup ne leur manqua pas. Les nations ont des heures néfastes ; les maux alors, suivant l’expression d’Eschyle, leur viennent par milliers ; « il leur en vient de la mer, il leur en vient de la terre ; » 60,000 hommes avaient paru à Xerxès un détachement suffisant pour garder les côtes de l’Ionie ; 60,000 hommes forment un cordon bien mince, quand il leur faut protéger un littoral de quelque étendue. Les flottes, à cette époque, reculaient souvent devant les traversées les plus courtes ; en revanche, quand elles se décidaient à franchir les mers, elles amenaient sur leurs vaisseaux une armée. Les instances réitérées des Ioniens finirent par décider Léotychide et Xantippe à quitter le mouillage de Délos. Un Samien se chargea de conduire la flotte grecque à travers les Cyclades : les difficultés