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sous aucun prétexte, consenti à entraver leur retraite. Les Grecs cependant poussèrent jusqu’à Andros, puis jusqu’à Carysto, sur la côte méridionale de l’Eubée. Ils n’allèrent pas plus loin. Les vaisseaux perses continuèrent donc paisiblement leur route. On prétend qu’au moment de dépasser le cap Sunium ils prirent, à la lueur douteuse des étoiles, les falaises de l’Attique pour des voiles athéniennes. Tout grand événement laisse de ces émotions. La méprise des Perses eût-elle en effet eu lieu, qu’elle ne serait pas le signe d’une terreur bien profonde. Les flottes ne sont pas plus que les armées à l’abri des évocations de fantômes. Combien de fois la clarté même du jour n’a-t-elle pas été suffisante pour permettre aux plus braves et aux plus illustres de compter avec le sang-froid voulu le nombre des vaisseaux rangés sur leur route ! Combien d’inexplicables illusions ont converti en navires de guerre des voiles marchandes, des bateaux ou des roches ! La chose est plus fréquente encore quand il s’agit de reconnaître à la coupe du foc, à la nuance de la toile, à l’écartement des sabords, si l’on a devant soi des amis ou des ennemis, des vaisseaux de la compagnie des Indes ou des men of war. Par quelle fatalité Ganteaume a-t-il, devant Mahon, perdu l’occasion de ravitailler l’Égypte ? D’où vient que Linois, au détroit de la Sonde, a laissé échapper le convoi de Chine ? Le vainqueur d’Algésiras, le compagnon du général Bonaparte sur le Nil, n’étaient ni l’un ni l’autre des amiraux timides. Que leur a-t-il manqué à tous deux dans ces occasions si graves qu’ils ne retrouvèrent pas ? D’y avoir vu clair dans leur lunette. Qu’on critique aujourd’hui, qu’on blâme, qu’on plaisante : quand il faudra juger de la force de l’ennemi à sa fumée, on comprendra mieux la nécessité d’avoir des éclaireurs hardis et rapides pour assurer la route des escadres.

La flotte de Xerxès avait pourvu à la subsistance d’une armée qui ne consommait pas moins de 5,000 kilolitres de blé par jour ; elle était destinée à rendre au roi un dernier service. Mardonius voulut accompagner son maître jusqu’en Thessalie. Ce fut dans cette province qu’il prit ses quartiers d’hiver. Quant à Xerxès, il continua sa marche sur l’Hellespont. La route était longue, la saison rigoureuse, les pays qu’on traversait dévastés. Où les vivres manquaient, — et ils manquaient souvent, — l’armée n’avait d’autre ressource, que de se nourrir de l’herbe des champs, des feuilles et de l’écorce des arbres. La dyssenterie ne tarda pas à exercer ses affreux ravages. La peste s’y joignit ; elle est le cortège inévitable des armées qui souffrent. On ne s’arrêtait pas cependant ; les malades seuls restaient en arrière. En quarante-cinq jours, Xerxès atteignit les bords de ce détroit que, six mois auparavant, il franchissait avec tant de pompe. Dans quel appareil différent il allait se montrer à