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erremens ; s’il a fait de l’ordre concave, c’est bien certainement contre son gré. La ligne s’est creusée au centre, parce que les vaisseaux du centre sont tombés sous le vent. La faiblesse de la brise a créé, sans que le général y eût part, un ordre nouveau. Ce qu’on peut affirmer, c’est qu’il n’est pas de combinaison tactique qui eût pu, en ce jour, racheter l’infériorité de notre tir et le défaut d’homogénéité de nos escadres.

Sur le terrain de l’action, il est une chose plus essentielle que la géométrie, c’est l’appréciation exacte, à tous les instans de la lutte, de la situation. On ne voit que ses plaies, on ignore les blessures de son adversaire. Que de fois on s’est retiré devant un ennemi prêt à crier merci ! Dans les mers de l’Inde, un lieutenant de vaisseau, qui devait devenir l’amiral Hugon, se trouvait embarqué sur la Psyché. Savez-vous qui commandait cette frégate ? Le plus brave sans contredit et le plus chevaleresque de nos capitaines. Il suffit de le nommer : c’était Bergeret. Un combat acharné s’engage entre la Psyché et la frégate anglaise le San-Fiorenzo. Le calme sépare les combattans. La frégate française est désemparée, sa batterie est jonchée de morts, de blessés, de mourans ; ses pompes la soutiennent à peine à flot. Bergeret fait appeler le lieutenant Hugon et l’expédie à bord de la frégate anglaise. La Psyché se soumet-elle à la mauvaise fortune ? Pourquoi alors n’a-t-elle pas amené son pavillon ? C’est que Bergeret veut bien rendre une frégate qui va lui manquer sous les pieds, mais qu’il ne veut pas rendre avec le bâtiment l’équipage. Portées par Hugon à bord du San-Fiorenzo, ces conditions insolites sont acceptées. On ne rencontrerait pas d’autre exemple d’une semblable capitulation dans l’histoire navale. La défaite devient ici une gloire de plus pour nos armes, et les Anglais n’en ont pas jugé autrement, car, loin de récompenser le capitaine du San-Fiorenzo, ils l’ont destitué. Eh bien ! le croirait-on ? nous avons entendu, trente années plus tard, l’amiral Hugon déclarer que le spectacle qui frappa ses yeux, quand il monta sur la frégate anglaise, l’avait fait hésiter un instant à s’acquitter de sa mission. La Psyché était peut-être, malgré tous ses dégâts, moins maltraitée, moins mutilée, moins sanglante que la frégate ennemie à laquelle on livrait sa coque.

Quand les Perses prirent le parti de se retirer, est-il bien certain qu’un peu plus de ténacité ne leur eût pas laissé la possession du champ de bataille ? La retraite des barbares, quoi qu’en disent Eschyle et Hérodote, ne paraît pas avoir été une déroute. Les barbares allèrent tout simplement reprendre le mouillage de Phalère pendant que les Grecs retournaient au mouillage de Salamine. Les Grecs étaient incontestablement vainqueurs ; leur triomphe semblait si