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la victoire et ne s’apprêtent, comme aux Thermopyles, qu’à bien mourir. On l’entoure, et soudain dans le camp tout est en émoi. Les vaisseaux se remplissent de rameurs et d’hoplites ; « la rame est assujettie à son tolet ; » le câble ne retient plus le navire au rivage, tout est prêt : Levez l’ancre, car voilà les Perses ! Formée sur quatre rangs, la masse noire se dégage lentement de l’ombre de Psytalie ; lentement aussi, elle se répand dans la rade. Les rameurs ménagent leurs forces. Pour aller attaquer les Grecs, la flotte de Xerxès a une double conversion à opérer. Elle pivote sur le vaisseau de gauche pendant que l’aile droite se hâte et décrit un circuit immense. Les quatre escadres rangées l’une derrière l’autre essaient en vain de combiner leurs mouvemens ; la baie ne présente plus que le spectacle d’une cohue confuse ; tout ordre régulier a disparu. Le flot des Perses continue cependant de s’épancher. Aux yeux des Grecs ce flot semble intarissable ; c’est l’effet ordinaire sur ceux que l’inondation menace. On a peine à croire cependant, quoi qu’en dise Hérodote, que les contingens des Cyclades aient pu combler les vides produits par deux tempêtes et trois combats sanglans. Moins d’incertitude nous paraît régner sur le chiffre des vaisseaux grecs. Acceptons sans contestation celui qu’ont dû garder les tables d’airain des villes confédérées. Ainsi donc 76,000 hommes, montés sur 380 vaisseaux environ, attendent, le cœur battant à coups pressés dans la poitrine, le choc de cette armée dont leur émotion grossit probablement outre mesure les forces. Quelque large qu’il nous plaise de faire la part aux exagérations habituelles des Grecs, il n’en est pas moins vrai que plus de 140,000 hommes vont se trouver aux prises et s’égorger durant de longues heures dans un bassin qui n’est guère plus vaste que la rade de Toulon. Voit-on d’ici ces guerriers, debout sur la proue, la lance en arrêt, semblables aux jouteurs que nous montrent nos fêtes, ces hoplites balançant les longues javelines qu’on serait tenté de prendre pour des harpons de baleiniers, ces archers de Babylone, — les premiers archers du monde, — l’arc bandé, la flèche sur le nerf qui frémit, ces pilotes prêts à faire tourner la trière sur elle-même d’un seul coup de leur aviron de queue, ces rameurs courbés sur leurs bancs, les bras déjà tendus, les triérarques enfin guettant, du haut de la poupe, le moment propice pour aller frapper de l’éperon d’airain le flanc ennemi ! Attendez quelques minutes encore, l’écho de Salamine va vous renvoyer la voix des céleustes et vous pourrez saisir le bruit lointain de près de 20,000 rames battant à la fois le tolet de chêne vert et retombant dans l’eau en cadence. L’eau jaillit de toutes parts ; une bande de thons ou de marsouins ne se débattrait pas avec plus de furie dans la madrague. Quelle formidable clameur s’est soudain élevée ? Les Grecs ont entonné leur péan de