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les avis des autres. « Les paroles magnifiques » dont parle le duc d’Albe entraînaient Xerxès à sa perte.

Qu’espérer de mieux d’un conseil de guerre, quand ce conseil n’a pas pour unique objet d’initier les sous-ordres à la pensée du chef et de leur communiquer ses ordres ? « Dieu, quand il eut créé l’homme, a dit saint Augustin, crut avoir assez fait en lui donnant la vie ; il le remit ensuite aux mains de sa propre sagesse. » Mais la responsabilité est une si lourde charge que les cœurs les plus résolus ne savent pas toujours se défendre de la tentation qui les porte à vouloir en partager le poids. En agissant ainsi, ils cèdent à une illusion. « Les conseilleurs, a dit un vieux proverbe, ne sont pas les payeurs. » Rien de plus juste, quiconque a commandé en a fait l’épreuve.


III

Xerxès a donné l’ordre de livrer bataille. Sans perdre un instant, ses 600 vaisseaux, — il est douteux qu’il lui en restât davantage, — évacuent la rade de Phalère et viennent jeter l’ancre à la pointe orientale de l’île dont le centre demeure occupé par les Grecs. L’îlot de Psytalie sert aux généraux perses de point d’appui. Sur cet îlot, ils ont jeté une troupe considérable qui doit, pendant le combat, tendre la main à leurs naufragés, achever, à coups de javelots et de harpons, les naufragés ennemis. La nuit vient ; l’aile gauche de la flotte, — 200 vaisseaux au moins, — se glisse sans bruit le long du rivage extérieur de Salamine. Où vont ces navires ? Ils vont, du côté d’Eleusis, fermer la retraite aux Grecs. Ici, comme aux Aphètes, on oublie que les Grecs ne sont pas encore vaincus. Cette manœuvre, excellente quand l’ennemi qu’on enveloppe n’est pas de force à rompre les mailles du filet, exige avant tout une grande ponctualité dans l’exécution. Pour le moment, elle n’a qu’un résultat : elle met un terme aux indécisions qui se prolongeaient encore à Salamine. Un Athénien jadis frappé d’ostracisme est accouru d’Égine à l’annonce du péril nouveau qui menaçait sa patrie. Il a, grâce à l’obscurité, pu traverser les rangs de cette portion de la flotte des Perses qui garde, depuis quelques heures, l’issue du détroit. « Rien ne sert à présent de discourir, dit-il à Thémistocle. Qu’on décide ce qu’on voudra au sujet du départ ; la flotte ne peu plus partir, elle est cernée. J’ai vu de mes propres yeux ce que j’avance. » L’homme qui s’exprime ainsi n’est pas un témoin vulgaire ; c’est Aristide, le fils de Lysimaque. Une sentence injuste l’a fait sans foyer ; elle ne lui a rien enlevé de l’estime universelle qui s’attachait jadis à son nom. Le voilà redevenu citoyen le jour où la cité n’est plus, soldat quand les plus fermes ont perdu l’espoir de